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Vivant en campagne dans les années 30, avec de grosses familles, des parents qui travaillent à longueur de journée pour survivre, peu de chemins, entourés par la forêt : toutes ces réalités offrent des défis continuels et vous pouvez être certains que Trefflé et Marie-Anna Payeur n’ont pas été épargnés. Après avoir perdu six enfants dans un feu de maison en 1928, et un autre à la maladie dans la même année (Odilon, le plus vieux, était le seul survivant), Marie-Anna et Trefflé ont eu huit autres enfants. L’histoire suivante se passe dans les années 30. Elle est racontée dans le livre Des défricheurs parmi tant d’autres… mes parents, de Marie-Paule Payeur-Gosselin.

« Ce matin-là, on décide d’aller ramasser des framboises. M. Picard, qui demeurait dans le camp à Pépère, nous avait dit qu’il y avait beaucoup de framboises pas loin du camp. Maman nous prépare un gouter et puis nous partons, René, Joseph, Marie-Laure, Marie-Paule, Émile et Léo. Les deux autres, Fernand et Rosaire, trop jeunes, sont restés à la maison. C’était entendu qu’on reviendrait pour le souper. On arrive là-bas, on dit quelques mots au monsieur pour ensuite se diriger vers les framboises. S’il y en avait déjà eu, elles étaient tombées parce qu’il y en avait presque plus. On en ramasse un peu, puis, comme il n’y en avait pas, René et Joseph se mettent à nous raconter que l’hiver précédent, grand-père leur avait montré à étendre des collets à lièvres. Les collets étaient restés sur place, ils pensaient les retrouver. En s’éloignant dans les vieux buchers, on ramassait des cocottes. Sans nous en rendre compte, nous nous éloignions toujours et quand nous avons décidé de retourner à la maison, nous avons réalisé soudain que nous étions égarés. Marche, marche, on arrive à la rivière. Cela aurait été un indice : la descendre. On ne se souvenait plus de rien. En désespoir de cause, Joe grimpa dans les arbres pour vérifier si on ne verrait pas la maison. René nous gardait courageux. Il avait sur lui un chapelet. Je me souviens, on s’agenouillait au pied d’un arbre, et on disait le chapelet. Il promettait que si on se retrouvait assez de bonne heure, on irait aux quarante heures. On continuait à marcher. La faim nous tenaillait. Puis on ne retrouvait toujours pas notre chemin, mais on demeurait ensemble. Émile et Léo étaient fatigués de marcher, donc René et Joseph les portaient sur leurs épaules, ou les tenaient l’un par les pieds et l’autre la tête. Tout ce temps-là, René nous encourageait en nous disant : “ Si on ne parvient pas à se retrouver, papa en arrivant de son travail, va venir nous chercher. ” Il nous gardait au beau fixe. Personne ne pleurait, mais nous étions très fatigués, épuisés, surtout les deux plus jeunes. On avait faim et soif et un peu peur des bêtes sauvages. Mais René et Joseph étaient toujours là pour nous remonter le moral. Marie-Laure avait perdu ses chaussures et avait les jambes et les pieds égratignés. Puis la noirceur survint, plus moyen de marcher. On trébuchait, on tombait. René nous dit : “ Je vais arracher des branches de sapin et on va se faire un lit puis on va se coucher tranquille et je vous garantis que papa va venir nous chercher. ” Il installe le lit, on se couche, il y avait de la mouche. Puis tout à coup, voilà la pluie qui commence à tomber. Il n’en fallait pas plus : on éclate en sanglots. On ne savait pas l’heure, on n’entendait rien, on trouvait que papa tardait.

À la maison, maman était très inquiète. Elle avait fait le train pour que papa puisse venir au plus vite à notre secours. Arrivé à la maison et mis au courant, tout de suite, il s’empresse de monter au camp et s’informe à M. Picard, qui lui dit que oui, il nous avait vus le matin, mais pas par la suite. Très inquiet, il se dirige vers la maison la plus proche. Il y avait là, en plus de la famille, deux hommes qui prenaient un coup. Mon père leur raconte ce qui se passe et leur demande d’aller chercher du secours. Après bien des heures d’attente, à la noirceur, tout à coup, très loin, à peine perceptible, on entend la voix de notre père. Quel soulagement ! La première chose qu’il nous a demandée c’est : “Êtes-vous ensemble ? ” Pour lui, sa grande peur était qu’on s’éparpille. Très heureux de nous savoir tous ensemble, il nous dit : “ Ne bougez pas, de temps à autre je vais crier, je marche sur votre voix. ”

Petit à petit sa voix se faisait de plus en plus proche, il se dirigeait sur nous avec sa lampe de poche. Arrivé à nous, on pouvait lire sur son visage l’inquiétude, la fatigue et la joie de nous retrouver. Le curé de notre paroisse, l’abbé Bissonnette, l’accompagnait. Il s’est empressé de crier. Cela n’a pas été trop long que tous les hommes sont arrivés, nous ont pris sur leurs épaules et nous ont sortis du bois. Plein d’autos nous attendaient au chemin pour nous ramener chez nous. Nous étions à cinq milles dans la forêt. Environ deux-cents personnes étaient venues à notre recherche. On est arrivés à minuit, où nous attendait une table bien garnie avec de la soupe chaude que maman, triste et inquiète, aidée de ses voisines, avait préparée. Après le départ des gens, papa a pris du vin, l’a fait chauffer et nous en a tous donné un peu pour nous empêcher, qu’il disait, d’avoir la grippe. On s’est endormis épuisés, mais contents d’être dans notre lit. Le lendemain matin, on avait mal partout, mais rien de plus.

Il faut que je vous dise que les années suivantes, c’était bien défendu aux enfants d’aller seuls aux fruitages. »

Si vous n’avez pas eu la chance de lire le livre de Marie-Paule Payeur-Gosselin  Des défricheurs parmi tant d’autres… mes parents  des Éditions Cantinales, je vous invite à ne pas le manquer.

Crédit photo : La photo provient du livre : Des défricheurs parmi tant d’autres… mes parents de Marie-Paule Payeur-Gosselin, Éditions Cantinales, 2008, pages 57-58