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Dans les années 50, la plupart des gens de Hearst et de la région vivent assez pauvrement (si on compare à aujourd’hui). Les salaires ne sont pas élevés, les familles sont nombreuses et le nombre de produits agricoles est restreint par un climat capricieux. La plupart des familles augmentent le menu quotidien avec la cueillette de fruits sauvages tels les fraises, les framboises et les bleuets. Les mères de famille sont presque toutes des expertes quant à la confection de tartes. Les fraises, les framboises et les bleuets sauvages sont un excellent moyen d’ajouter des ingrédients à la fois délicieux et sains au menu. Maintes obstinations et chicanes se sont produites, surtout chez les jeunes, pour défendre la réputation de leur mère comme la meilleure confectionneuse de tartes dans la région.

Les fraises sauvages sont très petites, mais sucrées et ahh! comme elles sont bonnes. Au mois de juin, on part un peu plus tôt le matin pour se rendre à l’école Ste-Thérèse. Nous suivons un sentier le long du ruisseau derrière les maisons au sud de la rue Prince. Le sentier nous amène ensuite dans le champ derrière le centre communautaire et c’est là qu’on s’arrête toujours pour cueillir des fraises avant de traverser la rue Edward pour se rendre à l’école. Ma mère fait rarement des tartes aux fraises parce qu’à chaque fois qu’elle nous envoie cueillir des fraises nous revenons avec les bols vides et le ventre plein.

Les framboises poussent sur du terrain un peu plus élevé (pas dans les marécages) et ont besoin du soleil. On en retrouve donc sur le côté des chemins ensoleillés et dans des champs non boisés. Durant les années 50, nous allons souvent aux framboises en famille durant le mois de juillet et au début d’aout. Puisque les framboises sont assez grosses, nous pouvons remplir nos contenants dans peu de temps. On arrête souvent le long d’un chemin de concession pour cueillir les framboises. Lorsqu’on peut trouver une bonne talle de framboises dans un champ, on s’installe là et on en cueille jusqu’à ce que tous nos bols soient pleins. Au mois de juillet, les groseilles sauvages sont populaires chez les jeunes. Ils s’amusent en se faisant grimacer tout en les mangeant. On en retrouve un peu partout, surtout le long des fossés et des clairières. Elles sont rarement utilisées pour faire des tartes.

Le mois d’aout, c’est le temps des bleuets et par le fait même, une belle occasion pour une sortie en famille. Plusieurs gens de Hearst se rendent à Coppell pour la cueillette de bleuets. Chez nous, des bucherons nous indiquent des endroits ou il y a de très belles talles de bleuets, surtout là où les arbres ont été buchés récemment (deux ou trois ans). Le jour précédent la sortie en famille, la maman prépare un lunch : de bons sandwichs aux œufs, au poulet, au Klik ou au Paris Pâté, des tranches de fromage Velveeta, des œufs bouillis, des cornichons, des petits ognons, des concombres, des tomates et des biscuits au beurre d’arachide. Ces mets sont accompagnés d’un thermos de thé chaud, de boissons gazeuses, du jus et/ou de l’eau. Tôt le matin, toute la famille monte dans le camion ou dans l’auto avec des tasses, des bols, des gros plats, des chaudrons, des chaudières, en fait tout genre de récipient pouvant contenir des bleuets (ou des framboises). Arrivés au site, les plus jeunes prennent une tasse ou un petit bol et reviennent le vider dans la chaudière chaque fois qu’il est plein. Les parents et les plus vieux surveillent et s’assurent que les plus jeunes ne mangent pas tous les fruits qu’ils récoltent. Tout le monde arrête le travail au milieu de la journée et on étend une ou deux couvertures de laine dans une clairière. Les plus vieux distribuent ensuite le lunch au milieu des couvertures et chacun s’assied autour du lunch. Pendant le repas, tout le monde parle en même temps de ce qu’ils et elles ont accompli jusqu’à maintenant, de ce qu’ils ont découvert, de leurs bobos, et possiblement des animaux sauvages rencontrés. On jase, on mange, on rit, on se taquine et on se régale. À la fin de la journée, tous retournent à la maison, fatigués, mais satisfaits, avec des récipients remplis de bleuets.

Une fois rendu à la maison, le travail n’est pas fini. On doit maintenant étendre les fruits sur la table et enlever les feuilles et les saletés. On lave ensuite les fruits et on les place dans le réfrigérateur ou dans la salle froide. Dans notre famille, ma mère fait de la pâte couvrant au moins deux tartes pour le souper. Elle a déjà préparé le sucre, le cornstarch et la cannelle et elle ajoute maintenant les fruits au chaudron. Lorsque le tout est cuit, elle complète ses tartes et les place dans le four. Après une trentaine de minutes, voilà notre dessert pour le souper et notre récompense pour une journée bien remplie.

La culture des baies (fraises, framboises, bleuets) est commercialisée depuis un certain temps. Ce que je vois, c’est la disponibilité de ces fruits à longueur d’année et la facilité avec laquelle on peut s’en procurer. Ce que je ne vois pas, c’est ce qu’on doit y ajouter pour les faire grossir de cette façon et pour en produire autant. Et encore plus important que tout cela, ce que je vois disparaitre ce sont les occasions de sortir et de faire des activités en famille, apprendre à se connaitre et s’apprécier, s’amuser ensemble. Oui, il y avait beaucoup de pauvreté dans le temps, mais on ne le savait pas qu’on était pauvre et pis après ?