Thérèse raconte : Une grande décision

Il faut te dire pourquoi je suis entrée au couvent. Dans notre petit village du Lac Ste-Thérèse, il n’y avait pas d’école secondaire, c’est-à-dire qu’il fallait aller à l’extérieur si on voulait continuer nos études après la 8e année. Il y avait dans la ville voisine (Hearst) une école secondaire publique, mais mes parents ne voulaient pas qu’on y aille parce que c’était une école protestante. Pour eux qui étaient très religieux, aller à une école protestante constituait un péché grave (sans farces). 

Mes parents valorisaient beaucoup l’éducation. Mon père savait à peine lire et ma mère avait dû quitter l’école après sa 5e année pour aider sa mère qui avait une grosse famille. Je rêvais de continuer à étudier. Il y avait un petit couvent à Moonbeam (environ 150 kilomètres de chez nous) qui prenait seulement dix pensionnaires. Ce pensionnat était géré par des Soeurs Grises de la Croix. C’est à cet endroit que j’ai fait ma 10e année. Pour ma 11e année, mes parents ont décidé de me laisser aller au couvent de la rue Rideau à Ottawa. Je devais voyager par train. Ça prenait 24 heures de Hearst à Ottawa par train. On devait arrêter à tous les villages pour embarquer ou débarquer des passagers. 

Au cours de ma 11e année, j’ai décidé de devenir religieuse. Les Soeurs Grises de la Croix oeuvraient dans plusieurs domaines : il y avait des enseignantes, des infirmières, des missionnaires ; il y avait des postes pour satisfaire tous les gouts. J’étais attirée par l’enseignement. Pour réaliser mon rêve, il fallait finir la 12e année et faire un an d’école normale. (Les exigences ont beaucoup changé depuis.) 

J’ai pensé que si j’entrais au couvent après ma 11e année, les religieuses se chargeraient de ma formation d’enseignante. De cette façon, mes parents n’auraient pas à payer pour les deux années d’études qu’il me restait. Cela laisserait un peu plus d’argent pour mes frères et soeurs qui me suivaient. (Il y en avait sept après moi.) 

J’avais 16 ans. Tu vois, dans le petit village du Lac Ste-Thérèse (22 familles), il n’y avait pas de choix d’emploi ou de carrière. Les filles de mon âge allaient travailler dans des maisons privées pour aider les femmes qui venaient d’accoucher. Dans ce temps-là, les naissances avaient pratiquement toutes lieu à la maison. La jeune fille rencontrait éventuellement un prétendant qui travaillait soit sur une ferme ou dans l’industrie de bois. Le couple se mariait et produisait plusieurs enfants. C’était un peu le patron du temps. Quelle chance de n’être pas tombée dans ce moule ! 

Maintenant, quand je regarde en arrière, il semble que 16 ans c’était un peu jeune pour prendre la décision d’entrer au couvent. Heureusement que le tout était réversible. Jusqu’à ce jour, je ne regrette pas du tout d’être entrée au couventet je regrette encore bien moins d’en être sortie.