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 En demandant des études d’évaluation à répétition et en « reculant la ligne d’arrivée au milieu de la course », des hauts fonctionnaires du ministère fédéral du Patrimoine canadien (PCH) retardent indûment le projet de Maison de la francophonie de Toronto.

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François Bergeron – IJL – Réseau.Presse – l-express.ca

 Les fonctionnaires de PCH nuiraient ici à l’action de la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, qui aurait déjà qualifié de « bijou » ce projet s’inspirant d’infrastructures semblables pour les francophones à Winnipeg et à Vancouver.

« La ministre est très mal servie par ses fonctionnaires », a déclaré le président du comité du projet, l’avocat Kip Daechsel, dans une conférence en ligne, ce jeudi soir 19 janvier, organisée par la Société d’Histoire de Toronto.

Nouvelle étude de faisabilité

La ministre a accordé récemment 100 000 $ au Centre francophone du Grand Toronto pour effectuer une étude de besoin et de faisabilité d’un « lieu de rassemblement » ou d’un « espace communautaire ».

Ce geste a été interprété par certains comme un désaveu du projet de l’équipe de Kip Daechsel. « Ça n’a rien a voir avec notre demande », répond-il. « Nous serions même ravis de donner un coup de main. »

Crédit : capture d’écran par François Bergeron

De fait, la PDG du CFGT, Florence Ngenzebuhoro, a indiqué à l-express.ca que l’équipe du projet de Maison de la francophonie fera sûrement partie des groupes qui seront consultés dans le cadre de l’étude financée par le fédéral.

Cette nouvelle initiative du CFGT « semble être au tout début d’un pèlerinage similaire à celui de la Maison, qui a duré plus de 15 ans », avertit Kip Daechsel. « Il ne faut pas qu’on se laisse jouer par certains décideurs (pas tous) qui n’ont manifestement aucun intérêt à appuyer la francophonie torontoise. »

Consultations

Le comité directeur de la Maison, ajoute-t-il, « a toujours été guidé par les directives reçues de la communauté à travers des consultations ». À l’origine, le Comité consultatif des affaires francophones de la Ville de Toronto avait donné son appui au projet.

« Le seul intérêt du projet est de renforcer le plus grand nombre de composantes possibles de la francophonie torontoise et ontarienne. »

« Le gouvernement du Canada a reçu plusieurs demandes de financement de la part d’organismes sans but lucratif pour des espaces communautaires dédiés à la communauté francophone de Toronto », écrit le cabinet de la ministre Ginette Petitpas Taylor à l-express.ca.

« À ce jour, les demandes de services en français incluant l’aide aux logements, les services en santé mentale et les services juridiques sont en croissance, particulièrement dans la région du Grand Toronto. Par conséquent, le financement annoncé pour le Centre francophone du Grand Toronto permettra le déploiement d’une étude de faisabilité qui déterminera les besoins de la communauté en termes d’espaces communautaires. »

Ça passe ou ça casse

Le fameux projet serait rendu à « l’étape finale », ayant identifié un lieu propice – le 62-64 de la rue Charles Est, dans le quartier Bloor et Yonge – et surtout un propriétaire francophile prêt à vendre (12,5 M $), prêt à attendre que l’équipe sécurise le financement, et même prêt à redonner un million à la cause !

Cette maison de style « Empire français », qui a déjà appartenu à un architecte, a notamment abrité l’Alliance française de Toronto et, au sous-sol, le journal L’Express de Toronto, du milieu des années 1970 au milieu des années 1980.

Ce n’est d’ailleurs que récemment, selon Kip Daechsel, que les fonctionnaires de PCH ont objecté que le caractère historique de l’édifice jetait une ombre sur l’achat et les rénovations.

Évaluations divergentes

Après avoir reçu deux évaluations de la propriété à 12,5 millions $, une de Cushman Wakefield (« une référence dans le domaine ») et une de la part d’experts recommandés par SPAC (Services publics et approvisionnement Canada), les fonctionnaires de PCH – que Kip Daechsel préfère ne pas nommer – ont réclamé une nouvelle évaluation…

« Tout en reconnaissant que nous satisfaisons à tous les critères du programme auquel nous avons adressé notre demande de financement », affirme Kip Daechsel.

Ce nouvel examen, effectué par une firme imposée par PCH mais qui ne figurerait pas sur la liste de SPAC, a conclu à une valeur très inférieure au prix demandé.

Le comité de la Maison a répliqué en commandant une contre-étude à Michael McFarlane, Newmark Valuation & Advisory – encore une fois « l’une des firmes les plus prestigieuses dans le domaine », selon Kip Daechsel. Cette étude de 21 pages de Newmark, dont l-express.ca a obtenu copie, identifie de « multiples erreurs » dans l’étude mandatée par le ministère (mais toujours payée par la Maison).

Ça se discute depuis plus de 30 ans

Kip Daechsel vante un projet porté par la communauté… Mais on en discute plutôt rarement et discrètement depuis plus de 30 ans dans la francophonie torontoise.

Ancien président du Club canadien de Toronto, Kip Daechsel est associé à l’aventure depuis une vingtaine d’années… Il assure que « ce n’est pas mon projet, c’est le projet de toute la communauté ».

En 2014, une soirée en hommage à l’ancien premier ministre Jean Chrétien avait permis de collecter 225 000 $ pour financer les premières démarches de la Maison de la francophonie de Toronto (un projet d’au moins 20 M $).

Une garderie et quelques bureaux d’organismes

Au fil des années, la plupart des institutions franco-torontoises ont acquis ou loué des locaux adaptés à leurs besoins : Alliance française, Théâtre français, Centre francophone, L’Express, Collège Boréal, la nouvelle Université de l’Ontario français…

Aujourd’hui, une garderie Les Bouts d’Choux serait le « locataire principal » de la Maison et occuperait 40 % de l’espace. D’autres organismes – comme FrancoQueer, le MOFIF, l’Entité 3, l’AFO, l’AJEFO, la Société d’Histoire – auraient signifié leur intention d’y installer leurs bureaux et d’avoir ainsi « pignon sur rue ».

« Des salles de réunions et une belle terrasse sont prévues. Le sous-sol sera un espace fort agréable, avec accès direct à l’extérieur. »

La Maison propose à ses membres une occupation en mode coopératif ou en copropriété plutôt qu’un bail traditionnel de location.

« Il est inconcevable », s’insurge Kip Daechsel, « que le gouvernement dise non à la garderie, au MOFIF, à FrancoQueer… »

Selon lui, outre de l’obstruction ou de l’incompétence de la part des hauts fonctionnaires, il y aurait aussi de l’attentisme de la part des gouvernements. « Le fédéral attendrait un engagement du provincial, le provincial attendrait un signal du fédéral. »

Un « actif » francophone à Toronto

Au Centre francophone, Florence Ngenzebuhoro s’interroge : « L’édifice du 62-64 rue Charles Est n’est pas si grand. Va-t-il pouvoir accommoder des rassemblements ou des fêtes de nos communautés culturelles ? C’est peut-être un besoin que va identifier notre étude. »

« La Maison ne prétend pas répondre à tous les besoin », indique Kip Daechsel. « Le but est de créer un actif de la communauté. »

Peu d’organismes franco-torontois, en effet, possèdent leurs propres locaux. La plupart sont locataires.

C’est le cas du Centre francophone du Grand Toronto, qui n’a pas d’affiche à l’extérieur du 555 rue Richmond Ouest, où il loue le 3e étage. Le TfT n’a pas encore son théâtre. Le Collège Boréal, qui loue actuellement le 3e étage du 1 rue Yonge, va louer ses nouveaux espaces à la Distillerie en septembre. Les écoles, évidemment, appartiennent aux conseils scolaires, qui sont à leur tour des entités financées par la province…

La saga de la Maison de la francophonie de Toronto se poursuit. Kip Daechsel entend persuader la ministre des Langues officielles de remettre le projet à l’ordre du jour avec les fonctionnaires de Patrimoine canadien.

Crédit : François Bergeron

Photo principale : courtoisie CFGT