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Le ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER Initiative de journalisme local — Le Droit

Le gouvernement fédéral a déplacé des centaines de demandeurs d’asile du Québec vers l’Ontario depuis l’été dernier; une hausse marquée par rapport à l’année précédente. À Cornwall, une ville historiquement francophone de l’Est ontarien connue pour ses capacités d’accueil et d’intégration, on s’attend à plus de transparence de la part d’Ottawa.

Tout juste arrivée du Mexique, en avril 2022, Nataly Benavides avait une idée très claire de ce qu’elle allait faire de sa première journée à Cornwall.

On lui avait remis un billet d’autobus pour qu’elle puisse se rendre vers les services administratifs qui l’attendaient. Elle en a profité pour amener sa fille et son conjoint et ensemble; ils ont décidé de rester dans l’autobus durant tout le circuit afin de découvrir leur terre d’accueil.

Ils se sont arrêtés à la friperie entièrement destinée aux nouveaux arrivants de l’Association des communautés francophones de l’Ontario, de Stormont, Dundas et Glengarry (ACFO SDG).

Et c’est ainsi qu’a débuté sa prise en charge par l’ACFO-SDG, y compris son inscription à l’immersion française.

Jour après jour, sa fille apprend le français à l’école, et équipée de son petit dictionnaire, Nataly Benavides continue elle aussi d’apprivoiser cette nouvelle langue latine qu’elle a choisie puisqu’elle se rapproche plus de l’espagnol que de l’anglais.

Elle est aujourd’hui agente de liaison communautaire au sein de l’ACFO-SDG.

Structure

Cet organisme a adopté une structure qui permet de voir ce que l’on appelle «l’immigration spontanée» comme une solution plutôt qu’un problème à résoudre.

« On l’aborde comme une opportunité de développement pour notre communauté », avance la directrice des opérations chez l’ACFO-SDG, Sonia Behilil.

L’an dernier, l’ACFO-SDG n’a pas été épargnée par la hausse importante de réfugiés ayant besoin de services, et l’organisme a créé Carrefour Immigration Crossroads, un programme qui permet d’évaluer les besoins de la communauté et d’assurer que chaque réfugié soit pris en charge dans de brefs délais.

« On a pu voir ailleurs que l’immigration spontanée est parfois perçue comme quelque chose qui pose des défis, des problématiques. En offrant un un programme qui est structuré dans l’accueil, on permet à la communauté de mobiliser les points forts de cette immigration. »

Espérantine Desardouin, par exemple, chargée de projet au sein de l’organisme, « fait partie des profils de francophones qualifiés qui sont très intéressants pour notre communauté et qui ramènent avec eux un bagage de qualifications qui pour nous contribuent au développement de notre communauté », estime Sonia Behilil.

Le 23 août dernier, Espérantine Desardouin est arrivée d’Haïti au Canada avec quatre membres de sa famille.

Contrairement à Nataly Benavides, elle n’avait pas initialement l’intention de faire sa vie à Cornwall.

« Je n’ai pas choisi Cornwall, Cornwall m’a choisie », raconte-t-elle.

On lui avait dit que son séjour à Cornwall était transitoire. « Mais quand j’ai rencontré les gens de la communauté, les membres de l’ACFO-SDG, le soutien qu’on m’avait donné, […] la façon dont ils m’ont encadrée et pris mon dossier à coeur, ils m’ont aidée à m’établir dans la communauté, à meubler ma maison, et donc vraiment je n’ai pas eu le coeur de partir, de laisser Cornwall. Je me suis trouvée chez moi. »

Sonia Behilil souligne que des récits comme ceux de Mme Desardouin, ce n’est pas le premier qu’elle entend.

« On entend souvent de belles histoires de personnes allophones, par exemple, qui nous disent que le Canada les a accueillis avec les bras ouverts, et que la communauté francophone les a accueillis vraiment chaleureusement. […] On a créé un programme de bénévolat pour leur permettre de s’engager. Ils ont un sens de responsabilité qu’on cherche toujours à développer, parce que ça les rend maîtres de leur situation. Le point culminant de ces belles histoires à succès, c’est quand des familles allophones viennent nous voir pour nous dire qu’elles veulent envoyer leurs enfants à l’école francophone, vu que ce sont les francophones qui les ont accueillis. »

Le hic

Mais pour continuer à assurer ces succès, le gouvernement fédéral doit communiquer avec les municipalités.

Cette semaine, la ministre québécoise de l’Immigration Christine Fréchette s’est réjouie que près de 400 migrants qui sont passés par le chemin Roxham au cours du weekend dernier ont été redirigés vers d’autres provinces canadiennes. Le gouvernement québécois estime avoir surpassé sa capacité à recevoir des immigrants.

Plusieurs d’entre eux ont été redirigés vers l’Ontario, où le gouvernement fédéral a réservé un bloc de 500 chambres d’hôtel.

Lundi, les élus municipaux de Cornwall ont adopté une motion invitant le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté Sean Fraser à une réunion du conseil.

Les conseillers de Cornwall jugent que le ministère a pris la décision d’héberger davantage de demandeurs d’asile dans leur ville « sans impliquer correctement la communauté » et demandent qu’une « consultation et une communication appropriées aient lieu entre la Ville de Cornwall et l’IRCC afin d’harmoniser le programme d’accueil des demandeurs d’asile au sein de notre communauté ».

En 2017, des centaines de demandeurs d’asile haïtiens avaient été hébergés au Centre Nav de Cornwall, craignant que l’administration de Donald Trump aux États-Unis mette fin au statut de protection temporaire octroyé dans la foulée du tremblement de terre de 2010.

En février 2020, des voyageurs du navire de croisière Diamond Princess rapatriés au pays avaient été mis en quarantaine au même centre Nav de Cornwall.

Chaque fois, le conseil de Cornwall avait dû insister « pour que le ministère communique directement avec les gens de Cornwall », se souvient l’ex-mairesse Bernadette Clement, aujourd’hui sénatrice.

À l’arrivée des migrants haïtiens, le conseil avait également adopté une motion similaire à celle qui a été présentée cette semaine. « Venez chez nous, parlez directement aux gens de Cornwall », avait-on demandé au ministère.

« Ils sont venus, ont rencontré les haut placés de la ville, les conseillers, et la communauté était présente dans la salle. C’était transparent, public. »

Bernadette Clement appuie sans équivoque la récente décision de ses anciens collègues. « Si les gens ont accès aux informations dès le début, je l’ai vu, il y a moins de peur dans la communauté. Parce qu’on est accueillants. À Cornwall, je l’ai vécu moi-même, on est accueillants, mais surtout si on a des informations. Si on n’est pas impliqués dans les conversations, c’est toujours plus difficile. »

Nataly Benavides est d’accord. Lorsque nous lui avons demandé ce que le gouvernement fédéral pourrait faire pour assurer un meilleur accueil des migrants au pays, elle a noté l’importance d’une collaboration entre les gouvernements et avec le public.

« Je pense que le gouvernement devrait avoir des représentants directement sur le terrain lors de l’accueil pour assurer le référencement. Il faut que l’on sache où l’on peut trouver de l’emploi et des services », conclut-elle.