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Apprendre à vieillir avec les aînés

La société à beaucoup à apprendre des personnes âgées. Que ce soit pour mieux comprendre le présent, regarder vers lavenir et même apprivoiser notre propre mort. Cest ce que conclut la journaliste Eugénie Émond, qui côtoie des personnes aînées depuis 15 ans à travers ses reportages.

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Charles Fontaine – IJL – Réseau.Presse Le Droit

 La journaliste qui détient également une maîtrise en gérontologie a publié cet automne le livre Savoir faire – Histoires, outils et sagesse de nos grands-parents. Elle a rencontré une vingtaine d’aînés pour dresser leur portrait et partager des savoirs qui s’égarent à travers les rides. Au-delà de ces compétences, les aînés ont beaucoup à enseigner seulement avec leur passé. Suffit qu’on s’y intéresse.

Le Droit : L’éventail des compétences manuelles de Robert et Louise Deguire impressionne, de plus qu’elles n’ont aucun lien avec leur métier. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué à travers vos rencontres pour ce livre ?

Eugénie Émond : C’est impressionnant, parce que souvent ce sont des personnes qui sont autodidactes ou qui ont appris en observant. C’est une grande leçon, parce que dans notre système d’éducation actuel, le savoir-faire manuel n’est pas encouragé. On se retrouve un peu incompétents manuellement.

LD : Est-ce qu’on peut généraliser en disant que tous les aînés ont un certain savoir-faire manuel ?

EÉ : Non, après la Seconde Guerre mondiale et avec l’arrivée des appareils domestiques, la société a fait en sorte qu’on a laissé tomber ces savoirs-là. Par exemple, c’est long faire du tricot ! Il y a même beaucoup de personnes aînées qui ont laissé tomber certains savoirs. Pour certains, c’est une passion, et si cette passion-là n’est plus là, bien ça disparaît avec eux.

LD : Pour que ces compétences ne se perdent pas, est-ce qu’ils ont tendance à transférer leur savoir aux générations en dessous ?

EÉ : Joe Albert [rencontré pour ce livre] allait mourir avec ses savoirs. À moins qu’on lui demande, il n’a pas ce souci de transmettre. Par contre, pour Molly et Édouard à Pikogan, qui sont dans une communauté autochtone, ça prend un tout autre sens. Pour eux qui ont grandi en forêt et qui ont appris ce savoir-faire de la bouche de leurs grands-parents, c’est important de le transmettre au reste de la communauté. Il y a un conseil des aînés dans le village et ils en font partie.

LD : Après ma rencontre avec Robert et Louise Deguire, l’utilisation instinctive de la technologie dans la société semble entre autres être une mise en échec pour cette génération. Est-ce que les gens que vous avez rencontrés se sentent aussi dévalorisés par la société ?

EÉ : Ça revient beaucoup. On m’a déjà dit : « On se sent comme des rebuts de la société ». Mais à l’inverse, on encourage depuis les années 90 que les aînés soient actifs et qu’ils participent à la société. Alors si tu ne participes pas et que tu ne fais pas de bénévolat, tu embourbes le système de santé, parce que tu n’as pas de bonnes habitudes de vie, parce que la participation sociale c’est bon pour l’estime de soi et le bien-être. Les médias sociaux et la technologie numérique ont amplifié le rejet, parce que si tu n’es pas là-dessus, c’est comme si tu n’existais pas. […] Juste pour rejoindre les personnes pour mon livre, c’était compliqué parce que certains ont juste une ligne fixe et certains n’ont pas de répondeur.

LD : Est-ce qu’on s’intéresse assez aux aînés ? Qu’est-ce qu’on a à apprendre d’eux ?

EÉ : Bien égoïstement, on apprend à vieillir. On n’est pas assez en contact avec eux alors on n’est pas en contact avec notre propre vieillesse et par le fait même, de notre propre mort. Ça, c’est immense comme apprentissage. Je relie beaucoup la vieillesse et la mort.

Ça fait 15 ans que je côtoie des personnes aînées au cours de mes reportages et ça a dédramatisé pour moi la mort, dont on a si peur. Au niveau historique, on comprend qu’il y avait des gens avant et ça amène tout un autre éclairage sur ce qu’on vit, que ce soit au niveau de nos propres décisions personnelles ou en société. Ça nous permet de relativiser pour regarder vers l’avenir. C’est important la continuité historique, quand tu regardes derrière toi.

Photo principale : Eugénie Émond (Claire Dufour)