Skip to content

Ma mère, Simone Lecours Camiré, avait huit ans lorsqu’une grave crise économique, surnommée la Grande Dépression, a frappé le Canada et la majorité des pays industrialisés. La crise des années 1930, la pire que le monde ait connue, a créé un choc économique et social qui a laissé des millions de personnes sans emploi, sans abri et dans le besoin au pays. En 1933, 30 % de la population active étaient sans emploi et un Canadien sur cinq dépendait de l’aide gouvernementale.

La population de Hearst a été affectée. Les familles étaient pauvres et elles étaient nombreuses à nécessiter du secours direct, de l’aide gouvernementale, qu’on appelait relief. Dans son livre, Coloniser et Enseigner, Danielle Coulombe mentionne que : « En 1933, Mgr Hallé estime que plus de la moitié des gens de la région reçoivent du secours direct. » Hearst a d’ailleurs été la première ville au pays à recevoir cette aide. La décision fut prise par le gouvernement provincial à la suite d’une manifestation d’une cinquantaine d’hommes révoltés devant le magasin général West & Co. Ils exigeaient de la nourriture pour nourrir leur famille et étaient déterminés à s’en procurer de force s’il le fallait. M. Harvey West, qui était également maire de Hearst, appuyé par l’évêque et le médecin, a alors fait parvenir un télégramme à Queen’s Park. La réponse fut immédiate : un chèque de 600 $ fut acheminé ; l’argent devait être distribué parmi les plus démunis. Cet incident a lancé un programme d’aide à l’échelle de la province.

Afin d’aider les personnes inaptes à subvenir à leurs besoins, les gouvernements fédéral et provincial adoptèrent des mesures. Un soutien fut d’abord accordé sous forme de coupons échangeables dans des commerces désignés. Les coupons étaient envoyés par la poste ; la quantité était proportionnelle au nombre de personnes dans la maisonnée. Plus tard, les coupons ont été remplacés par des chèques échangeables dans les commerces.

Des salaires furent versés à des hommes pour creuser des fossés et défricher des terrains pour la construction de chemins. C’est ainsi qu’on prolongea la route 11, la Transcontinentale, à l’ouest de Hearst. Cependant, certaines routes construites au cours de cette période n’ont jamais servi…

Mes grands-parents, Arthur Lecours et Stéphanie Pouliot, ont également ressenti les contrecoups de cette récession. Ma mère disait toutefois se souvenir de n’avoir manqué de rien. Par ailleurs, elle disait qu’il fallait faire attention aux dépenses. Ses parents n’avaient aucun superflu, mais ils étaient conscients que certaines familles étaient plus pauvres qu’eux. Des années plus tard, ma grand-mère, qui nous parlait de cette période, nous a avoué qu’elle avait eu à demander du relief à une occasion, en cachette de son mari. Il ne voulait pas qu’elle en demande, il était trop fier. Pour lui, c’était de sa responsabilité de subvenir aux besoins de sa famille.

Il faut dire que le fait d’habiter sur une ferme facilitait la vie des membres de la famille. Ils avaient de quoi manger : du pain, du beurre, des oeufs, des légumes et de la viande. Ils étaient presque autosuffisants. Ils achetaient au magasin général le peu d’ingrédients qui leur manquaient : la farine, le sucre, la graisse, le sel, le poivre, la cassonade et la levure, appelée « galette à cuire », qui servait à faire le pain.

Ils mangeaient les légumes qu’ils cultivaient : pommes de terre, navets, choux de Siam, carottes, choux, betteraves, ognons. L’hiver, ils les entreposaient au frais, dans la cave, dont le plancher était en terre battue, et ils les recouvraient de sable. À part les pommes de terre, ils ne se conservaient pas jusqu’au printemps ; ils ratatinaient. En été, on récoltait aussi de la laitue et des radis. C’est mon grand-père, surtout, qui s’occupait du jardin. Ma grand-mère n’a jamais vraiment aimé cette activité. Plus tard, ma mère en a assumé la responsabilité avec ses frères. Les enfants allaient aussi cueillir des fraises de champs et des framboises sur la ferme. Ma grand-mère préparait des tartes et des confitures.

La viande que la famille mangeait provenait presque exclusivement des animaux qu’elle élevait. Quand mon grand-père et les garçons, lorsqu’ils furent assez grands, tuaient un animal, ils le découpaient en morceaux qu’ils recouvraient de bran de scie. On attendait que la température baisse sous le point de congélation avant de faire l’abattage. Comme il n’y avait pas de réfrigérateur, la viande était conservée dans un caveau rattaché à la cave de la maison. Quand les pots Mason sont apparus des années plus tard, ils servaient à la mise en conserve. Lorsqu’on tuait un cochon, on plaçait les morceaux dans une jarre de grès avec du gros sel et un peu d’eau. Ma grand-mère préparait souvent des grillades de lard salé. Elle faisait d’abord bouillir le lard quelques minutes pour le dessaler, puis elle coupait les morceaux en tranches minces et les faisait griller dans une poêle. Elle en ajoutait de temps à autre dans les omelettes. Elle conservait le gras de cette cuisson pour faire cuire d’autres aliments.

Du poulet se retrouvait également régulièrement sur la table. Avec les restes de viande cuite, ma grand-mère concoctait des hachis, au boeuf, au poulet ou au porc, qu’elle accompagnait, l’été, d’une salade du jardin et de crème. Les enfants se régalaient.

À l’occasion, de l’orignal était au menu. Mon grand-père n’était pas chasseur ; il arrivait toutefois que des orignaux restent pris dans la clôture qui séparait la ferme de mes grands-parents de celle des voisins. Les orignaux qui migraient vers le sud à l’automne et vers le nord au printemps s’y prenaient les pattes de devant en voulant sauter par-dessus. Mon grand-père n’avait pas à se déplacer bien loin pour les abattre. Il en a même tué un du coin de la galerie de la maison ! (Les lois concernant la chasse n’étaient pas strictes à l’époque.) On mangeait la viande et en mettait également en conserve.

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945) qui a suivi la Grande Dépression apporta aussi son lot de restrictions et de sacrifices même si, heureusement, personne des familles Lecours et Camiré n’ont eu à y participer directement.

Été 1932, durant la Grande Dépression. Un groupe d’hommes affamés déterminés à obtenir de la nourriture marchent sur la rue Front, vers le magasin général West.

Photo gracieuseté de l’Écomusée de Hearst, soumise par Jalo Kurki