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L’épuisement professionnel – le fameux burnout – représente à la fois un défi de santé et, dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre, un enjeu économique. Insidieux, il touche toutes les couches de la société. Les Torontois sont à risque, mais des ressources francophones existent.

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Camille Langlade – IJL – Réseau.Presse – l-express.ca

 En 2019, l’épuisement professionnel a fait son entrée dans la Classification internationale de maladies de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pourtant, le burnout n’est pas reconnu comme une maladie mentale, mais comme un syndrome « résultant d’un stress professionnel chronique qui n’a pas été géré avec succès ». C’est un syndrome très courant… mais pas toujours reconnu.

Un problème qui coûte cher

Selon l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, qui rassemble la plupart des assureurs privés du pays, les problèmes de santé psychologique comptent maintenant pour environ 40 % des prestations d’invalidité (jusqu’à 60 % dans certains secteurs d’emploi). Et ces troubles constituent la première cause d’absence prolongée du travail.

« L’épuisement professionnel s’inscrit dans cette lignée », rapporte Marie-Ève Ayotte, gestionnaire en santé mentale au Centre francophone du Grand Toronto.

Crédit : courtoisie

Intense fatigue et perte de contrôle

« Tous les travailleurs peuvent être exposés «, observe Kathleen Patterson, thérapeute au Centre francophone du Grand Toronto. « Ce n’est pas quelque chose qui est facile à diagnostiquer. »

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Les symptômes de l’épuisement professionnel sont variés. « Les gens vont décrire une fatigue intense, une grande perte d’énergie qui peut être physique, mentale, ou émotionnelle. Ils vont avoir de la difficulté à gérer leurs émotions, ils vont se sentir envahis par les émotions », décrit Isabelle Bonsaint, psychologue clinicienne à la Clinique de psychothérapie francophone de Toronto.

Cette perte de contrôle peut s’accompagner d’une perte de confiance. « Ils ont l’impression de ne pas en faire assez, de ne pas être remercié ou récompensé », ajoute la spécialiste.

« La personne va commencer à vouloir s’absenter, se sentir démotivé, va avoir difficulté à respecter les délais de remise de projets ou de courriels à envoyer. Il va aussi y avoir un peu d’évitement et de procrastination », poursuit Isabelle Bonsaint.

« Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait »

« On a l’impression d’être dans le noir. » Après vingt ans dans un poste de leadership, Martyne Laurin a craqué. « Quand je suis passé à travers le burnout, je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. »

Depuis, elle a décidé d’aider et d’accompagner celles et ceux qui traversent la même épreuve en devenant coach spécialisée et consultante.

« La descente vers le burnout est rapide. Cela peut prendre jusqu’à 6 mois. » Et jusqu’à deux années pour s’en remettre, voire beaucoup plus, affirme-t-elle.

Les francophones plus exposés ?

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, la pression peut en outre s’accentuer. « Le burnout impact négativement les organisations francophones », décrit Martyne Laurin.

La coach prend l’exemple d’une personne avec beaucoup d’années d’expertise qui quitte soudainement son emploi.

« On se ramasse soudainement sans ressource ou expertise pour former de nouveaux employés. Nous ne parvenons pas à remplacer le professionnel francophone en burnout puisque le bassin de candidat franco ou bilingue avec cette expertise est trop limité. »

Les francophones ne sont donc pas épargnés. « Quand on est une minorité, cela ajoute de la vulnérabilité », remarque Kathleen Patterson. D’où l’importance de pouvoir avoir accès à des soins et des services en santé mentale en langue française.

Toronto, une ville propice au burnout ?

« Les gens nouvellement arrivés au Canada doivent s’adapter, parfois dans des conditions précaires au niveau des finances et du logement. Cela peut causer du stress », constate la thérapeute du Centre francophone. Notamment dans les grands centres urbains.

« La ville de Toronto est propice à créer de l’épuisement professionnel, note Isabelle Bonsaint. Ce qui attire les gens ici, c’est souvent la carrière. Ils peuvent être déplacés pour obtenir un meilleur poste. »

Or, ces personnes débarquent dans une ville où ils n’ont souvent aucun réseau social.

« La sphère professionnelle devient la seule sphère de leur vie et cela cause un déséquilibre. Le travail prend toute la place et ils peuvent devenir plus vulnérables, plus à risque de développer un burnout », commente la psychologue.

Prévenir pour mieux guérir

Pour Martyne Laurin, il faut s’attaquer au problème en amont, non seulement sous un angle individuel, mais aussi (et surtout ?) collectif, en développant un environnement de travail sain où les individus peuvent s’épanouir.

« C’est à l’employeur d’offrir un soutien de travail qui soit sécuritaire, dans lequel il existe un climat de confiance, de communication, transparent… Et dans lequel parler de santé mentale n’est pas un sujet tabou », corrobore Aline Ayoub, présidente et fondatrice de Aline Ayoub Human Resource Consulting à Toronto.

Crédit : courtoisie

Au sein de son entreprise, Aline Ayoub aide les petites et moyennes entreprises à gérer leurs ressources humaines. Selon elle, mieux vaut agir en amont, sur le plan de la prévention.

« Il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard pour aller chercher les ressources nécessaires, prévient la cheffe d’entreprise. Il faut encourager l’employeur à être aux aguets de signes précurseurs. »

Se fixer des objectifs plus réalistes, déléguer, prioriser les tâches, se poser des limites, prendre des pauses, se lever ou encore se changer les idées… Pour Kathleen Patterson, voilà autant de gestes qui peuvent réduire le risque d’épuisement professionnel.

Un sujet encore tabou

Mais pour Isabelle Bonsaint, les préjugés peuvent encore avoir la vie dure, surtout dans un centre financier comme Toronto.

« Pour un homme qui est très performant et compétitif, cela va prendre beaucoup de temps avant qu’il aille consulter un médecin pour dire “ je suis en épuisement professionnel ”. Il peut alors se tourner vers d’autres moyens pour gérer son stress, beaucoup moins sains, comme l’alcool », explique-t-elle.

« Malheureusement, il y a encore un sentiment de honte qui habite les gens qui ont cette maladie. La société n’est pas encore arrivée à un point où c’est correct d’être en burnout », déclare Aline Ayoub. « Mais cela fait partie de la vie et des problèmes de santé que n’importe qui peut avoir. »

Reste alors à briser le silence. « C’est important, surtout ces temps-ci, de faire comprendre aux gens qu’ils ne sont pas seuls », insiste Martyne Laurin. « Plus on va en parler, plus on va mettre les gens à l’aise et plus les gens peuvent rejoindre d’autres gens. »

Photo principale : courtoisie