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Cornwall : l’individu avant la couleur

En 2018, la communauté de Cornwall élisait la première mairesse noire en Ontario. En 2022, elle a élu le premier conseiller noir de la ville. Pour la population, ces étiquettes ne sont pas ce qui compte. Lindividu et ses valeurs sont plus importants que ses origines lors dune élection. 

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Charles Fontaine – IJL – Réseau.Presse –Le Droit

Bernadette Clément a fait les manchettes il y a quatre ans lorsqu’elle est devenue mairesse de Cornwall. « Quand j’ai été élue mairesse, tous les médias étaient là et ils étaient excités vu que j’étais la première mairesse noire en Ontario, se rappelle Mme Clément. Pour les gens de Cornwall, ils venaient d’élire Bernadette. Whats the big deal ? »

Photo d’archives

Ce jour-là, Cornwall, ville de 46 589 habitants à l’époque, dont 6,9 % d’immigrants, élisait un ou une maire noir avant Ottawa, qui était composé à 23,2 % de population immigrante. Le premier conseiller noir de la ville d’Ottawa a été Rawlson King en 2019.

Lorsque Mme Clément menait sa campagne, elle savait qu’elle pourrait devenir la première mairesse noire de l’histoire de la province. Dans son cercle rapproché, on lui avait conseillé de ne pas mentionner cette étiquette en rencontrant les gens. « Mais la communauté était au courant », note-t-elle.

Avec le recul, elle aurait fait les choses différemment. « J’aurais eu des conversations là-dessus pour rejoindre des populations qui ont besoin d’entendre ces discours-là. Après la mort de George Floyd, je réalisais que j’avais une obligation de devenir un peu plus éloquente au niveau de mon héritage. […] C’est un message puissant aux petites filles et à la population noire. Je réalisais qu’en menant cette campagne, il y avait un message spécial pour les autres communautés. »

Fred Ngoundjo aussi était conscient qu’il pouvait être élu premier conseiller noir de l’histoire de la ville. Ça n’a pas fait non plus objet dans sa campagne. « Je défendais des projets, la couleur de ma peau n’était pas un projet de discussion, affirme-t-il. Ça m’a donné la chair de poule à chaque fois [que je cognais aux portes]. Chaque fois, j’ai été accueilli d’une manière extraordinaire, ça m’a rendu ému. La couleur de ma peau ne compte pas, on voit l’individu. Ailleurs, ça aurait pu être, on regarde, on voit un homme noir et puis on ferme la porte. Ça existe ailleurs. »

Le Camerounais d’origine a vécu plusieurs années en Belgique et trois ans à Ottawa avant de s’installer à Cornwall. Il remarque l’inclusion spéciale dans cette ville. « C’est un leadership très fort que la ville de Cornwall envoie aux provinces. Une telle ouverture, une telle inclusion! Même au niveau du monde! J’ai vécu en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord et c’est difficile de voir des hommes noirs au niveau municipal et décisionnel dans leur communauté. Les résidents peuvent être fiers d’avoir cette vision, cette ouverture. »

Le nouveau maire de Cornwall, Justin Towndale, est Indien. Sur la scène municipale de la ville depuis 2014, il rapporte également que les origines des candidats importent peu pour la communauté. « La race, la couleur de peau, rien de tout cela n’est important. Les gens te regardent comme un candidat. »

 Communauté complexe et en harmonie

Avant de découvrir Cornwall, M. Ngoundjo est « tombé en amour » avec le Canada. Quand une de ses amies lui a parlé de Cornwall et qu’il a visité la ville, « c’était le paradis ». « Il y a vraiment eu un coup de foudre avec la ville, dit-il. La beauté, le rapport avec les gens, le bord de l’eau, tout ça a fait qu’on a décidé de s’installer ici. »

En sept ans, il n’a jamais reçu de commentaires racistes dans sa ville, ses enfants non plus. « En tant que parents noirs, on a toujours une crainte pour les enfants. Comment vont-ils se sentir à l’école, s’ils seront marginalisés, etc. C’est une des choses qui m’a le plus rassuré, que les enfants se sentaient bien. »

Bernadette Clément est née d’un père originaire de Trinidad-et-Tobago et d’une mère franco-manitobaine. Née à Montréal, elle s’est installée à Cornwall il y a 31 ans pour un poste en aide juridique. Elle n’a pas quitté la ville depuis.

L’ancienne mairesse, maintenant sénatrice, note que la population est à l’aise avec les dualités.

« On est à l’aise avec la complexité, remarque-t-elle. Les Mohawks d’Akwesasne sont là depuis longtemps. On a une question de survie à Cornwall. On a souvent été en transition. L’industrie de la manufacture est partie, alors on se redéfinit. Ça fait partie de l’énergie à Cornwall. On accueille du monde, parce qu’on a besoin de monde. »

« Notre réputation n’était pas bonne avant, vu que c’était une ville d’usine de coton, mentionne Justin Towndale. Nous sommes très diversifiés en tant que communauté. »

Mme Clément confie qu’elle est devenue Franco-Ontarienne à Cornwall. « Les francophones, c’était les premiers à m’accueillir, se rappelle-t-elle. C’est ça la francophonie à Cornwall. Ils ont besoin de relève. On est conscient qu’on est en minorité et qu’on doit soutenir nos écoles francophones. Il y a une question de survie. Ça fait longtemps qu’ils comprennent ce défi-là et ils sont très actifs. […] On est à l’aise avec les dualités linguistiques, mais on passe à travers. Alors quand il y a de nouveaux arrivants, on est à l’aise avec cette diversité. »

En se promenant à Cornwall, on remarque que la francophonie à Cornwall se fait sentir, même si elle représente 19,4 % de la population. Les travailleurs francophones nous accueillent à bras ouverts dans leur commerce et les anglophones se forcent à l’occasion pour vous servir en français. Il y a des écoles francophones au niveau primaire et secondaire et l’hôpital est bilingue.

 Bernadette, linspiration

Fred Ngoundjo et Justin Towndale le disent, Bernadette Clément a marqué l’histoire de la ville de Cornwall. Et pas seulement parce qu’elle est devenue la première mairesse noire en Ontario.

« Elle a un leadership, dit M. Ngoundjo. Elle a marqué cette ville de manière très positive. En étant le porte à porte, je réalisais que les gens s’ennuyaient de Bernadette. Elle a réussi à mettre à l’aise autant les communautés anglophones que francophones. »

« Personne ne peut la remplacer », lance le nouveau maire.

  1. Ngoundjo affirme même que Mme Clément a été son inspiration pour se lancer en politique.

Ça a pris un an à la nouvelle sénatrice avant de faire son deuil de son ancien emploi. Quand le premier ministre l’a appelé en lui offrant le poste de sénatrice, elle était heureuse de son nouveau poste, mais triste en même temps. « Je n’en avais pas parlé à ma communauté et il fallait que je démissionne quasiment immédiatement. Quand on est maire pendant une pandémie, il y a un lien très fort qui se crée avec les gens. Pour moi, c’était une rupture très raide. Ça a été très difficile pour moi. Avec l’élection du maire Towndale et de Fred, ça a été un soulagement. »

Photo principale : Justin Towndale, maire de Cornwall (Charles Fontaine, Le Droit)