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Pensionnats : un obstacle à la recherche de la vérité

 Jérôme Melançon, chroniqueur – Francopresse

Le gouvernement fédéral démontre à nouveau que son engagement pour la réconciliation n’est ni sérieux ni sincère. Tandis que le travail ne fait que commencer au sein de plusieurs nations autochtones, Ottawa réduit les fonds destinés à la recherche des enfants disparus dans les pensionnats et des tombes sans sépultures. 

Les survivant(e)s des pensionnats pour enfants autochtones parlent depuis longtemps du décès d’élèves et de leur enterrement au cimetière attenant à l’école. De nombreuses familles ont également déclaré n’avoir jamais été informées du décès ou de la disparition d’un enfant. Un volume entier du rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CVR) est d’ailleurs consacré à cette question. 

Des recherches sont ainsi en cours pour retrouver la trace de ces enfants et pour trouver l’emplacement exact de tombes sans sépultures. 

Tandis que le Centre national pour la vérité et la réconciliation a pu retrouver jusqu’à présent 4139 noms d’enfants disparus, mon travail de soutien auprès des communautés autochtones effectuant le même travail laisse déjà entrevoir que ce nombre sera beaucoup plus élevé. 

De l’espoir à la déception 

Il est d’ailleurs important de savoir que la plus grande partie du travail de recherche est effectué par des équipes créées par des Premières Nations ou encore par des organismes qui les représentent. Dans l’espace de quelques semaines, ces équipes ont vu leur travail reconnu, puis arrêté. 

Le rapport historique de l’interlocutrice spéciale indépendante, Lieux de vérité, lieux de conscience, met en lumière la difficulté de ces recherches, l’état actuel des cimetières et des archives, ainsi que les réseaux complexes qui liaient les pensionnats à une série d’autres institutions où les enfants pouvaient être envoyés, et souvent mourir, à l’insu de leurs parents. 

Cette publication valide les résultats préliminaires des équipes de recherche et aurait dû encourager le gouvernement fédéral à appuyer leur travail. Mais ce dernier a fait volteface et a annoncé une limite aux fonds disponibles pour ces recherches. 

Parler de « plafonnement » est simplement une manière d’éviter le mot « coupures ». Ces fonds avaient été promis plusieurs années après la publi-cation du rapport de la CVR, qui les réclamait déjà, et seulement après l’annonce de la découverte de tombes sans sépultures aux anciens pensionnats de Kamloops et Marieval par les Premières Nations, qui avaient lancé ces recherches elles-mêmes. 

La limite de 500 000 dollars par année fait qu’un nombre très restreint de personnes peuvent être embauché(e)s, que les voyages pour accéder aux archives, retrouver des survivant(e)s éparpillé(e)s partout au Canada seront limités ou qu’il sera plus difficile d’assurer la participation des survivant(e)s au processus. 

Des besoins à long terme 

Dans son rapport de juin 2023, l’interlocutrice spéciale indépendante, Kimberly Murray, indiquait déjà une série de besoins liés notamment à l’accès aux documents et aux sites, aux délais à prévoir, à la protection contre les réponses du public allochtone ainsi qu’au soutien et au financement des équipes de recherche. 

Pour que la recherche soit menée d’une bonne manière, la souveraineté des peuples autochtones doit être reconnue et le Canada doit assumer ses responsabilités. 

Le travail ne peut se limiter à la recherche archéologique et à la recherche archivistique des données. 

En effet, les abus et le nombre des décès n’étaient pas notés dans les documents officiels ; ce sont les survivant(e)s qui ont préservé cette mémoire. Or, ces personnes sont désormais d’un âge avancé et leurs décès sont de plus en plus fréquents. Les communautés perdent donc la seule source possible d’information pour mener à bien certaines recherches. 

Les membres des équipes de recherche doivent avoir la possibilité de recevoir des formations, afin de développer la capacité de recherche au sein des communautés autochtones. Elles pourront ainsi continuer à diriger leurs propres travaux… et éviter que des compagnies privées ne les arnaquent ou n’exploitent les ressources financières dédiées à ces projets. 

Un long chemin pour la réconciliation 

Dans un contexte où même le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones reconnait les défis et manquements actuels, la décision de limiter les fonds pour ces recherches par le gouvernement fédéral ne peut avoir que deux explications. 

La première hypothèse est le paternalisme. Le gouvernement ne fait pas confiance aux capacités des peuples autochtones et désire contrôler davantage le processus. Il veut éviter que les Premiers peuples prennent le contrôle et exercent leur souveraineté. Il préfère que des experts externes soient embauchés. 

Autrement dit, il veut éviter que l’expertise se développe dans les communautés autochtones. En limitant le financement, il maintient la dépendance des Premières Nations à son endroit ainsi qu’à l’endroit des centres d’archives qui ne sont pas gérés par les peuples autochtones et qui n’arrivent pas, eux non plus, à faire tout le travail nécessaire. 

La seconde hypothèse est plus cynique. C’est que le gouvernement, ou les organismes et institutions qui font pression sur lui ne veulent pas que ce travail se fasse. 

En effet, le travail actuel reste critique. Les témoignages des survivant(e)s lors des travaux de la CVR ont montré ce que les enfants et adolescent(e)s ont vu, le travail dans les archives disponibles à l’époque a exposé les politiques étatiques. 

Mais avant d’avoir accès aux archives qu’ouvrent désormais peu à peu les églises et les congrégations religieuses, nous ne savions pas comment les pensionnats étaient gérés et opérés, ni quelles étaient les politiques mises en place par les religieux sur place. Cette connaissance semblait à portée de main… Elle est désormais beaucoup plus éloignée. 

Il est toujours difficile, voire impossible, pour les peuples autochtones de faire confiance aux églises ou à l’État pour ce travail, étant donné la teneur des relations et surtout la responsabilité pour les torts causés par les écoles. Sans oublier les morts d’enfants et le non-respect des corps. 

D’une manière ou d’une autre – et en fait des deux, le gouvernement agit à l’encontre de la volonté de réconciliation qu’il revendique pourtant, et détruit à nouveau une partie du travail de réconciliation qui a eu lieu jusqu’à présent. 

 

La recherche pour identifier tous les enfants disparus ou décédés dans les pensionnats autochtones demande beaucoup de temps et d’argent. L’annonce d’un plafonnement crée de nombreux obstacles à la recherche de la vérité. Photo : GoToVan – Flickr