Skip to content

Mes parents, Simone Lecours et Jules Camiré, se sont mariés le 14 juin 1943, alors que la Seconde Guerre mondiale battait son plein en Europe.

Ils s’étaient rencontrés à l’occasion d’une veillée mortuaire chez le frère de Jules, Émile, et son épouse, Florida, qui venaient de perdre leur fils Fernand, âgé de dix ans et demi. Il s’était noyé dans la rivière Mattawishkwia, derrière l’école Sainte-Thérèse, le 20 novembre 1941. À l’époque, il n’y avait pas de salon funéraire à Hearst, et le corps des défunts était exposé pendant deux ou trois jours dans la maison familiale. Il était de coutume de veiller le mort jour et nuit pour que son âme puisse quitter son enveloppe terrestre accompagnée de pensées positives et de prières des personnes qui lui étaient proches. Chaque heure, on récitait le chapelet. Comme la famille de mes grands-parents connaissait bien la famille Camiré et qu’Émile et Florida habitaient non loin de chez eux, plusieurs membres de la famille Lecours étaient allés témoigner leurs respects. Simone y avait passé une nuit avec sa soeur, Monique, et ses frères Paul et Clément. Mon père s’y trouvait ainsi que certains de ses frères et soeurs. Simone et Jules se connaissaient déjà, car ils se voyaient parfois à la messe et aux soirées de cartes que la paroisse organisait de temps à autre. Toutefois, c’était la première fois qu’ils passaient autant d’heures ensemble, ce qui leur a permis de mieux faire connaissance.

Peu de temps après, ils se sont revus lors d’une partie de cartes de la paroisse et Jules avait demandé à Simone s’il pouvait venir la voir chez elle. C’est ainsi que les fréquentations ont commencé. Ils ne se voyaient pas souvent, car pendant l’hiver, Jules faisait du charroyage pour la compagnie forestière Newaygo à Mead. Il venait en ville, par train, seulement une ou deux fois par mois. De chez lui, il marchait près de cinq milles pour aller voir sa « blonde ». Maman nous disait qu’ils ont rarement été seuls, puisqu’ils veillaient dans la cuisine ou dans la salle à manger ; il y avait toujours des enfants et, souvent, la maman.

Jules a fait sa grande demande au printemps 1942, pour un mariage prévu l’été suivant. Un accident tragique est cependant venu assombrir cet évènement qui aurait dû être heureux. En effet, le vendredi 12 mars 1943, Adrien, l’ainé de la famille Lecours, est décédé de façon tragique à l’âge de 22 ans, sur les chantiers de mon grand-père, à Carey Lake. Comme le mariage était déjà prévu depuis Noël, les fiancés ont quand même convenu d’aller de l’avant, avec l’approbation des parents. Alice, la soeur de Jules, et son fiancé, Raoul Vaillancourt, parlaient également de se marier en juin. Après en avoir discuté tous les quatre, ils ont opté pour un mariage double et ont choisi la date du 14 juin. Ils ont ensuite fait publier les bans.

La célébration s’est donc déroulée dans la sobriété. À cette époque, la période de deuil durait un an. Les adultes portaient du noir à la messe et à l’occasion d’autres sorties. L’habit chez l’homme, la robe chez la femme, les bas, les souliers, les chapeaux, les cravates, tout était noir. Les hommes qui n’avaient pas d’habit noir portaient un brassard noir pour indiquer qu’ils étaient en deuil. Après cette année de noir, le gris était de rigueur toute l’année suivante. Habituellement, il n’y avait pas, sinon peu, de célébrations durant la première année suivant un décès dans la famille.

La cérémonie a eu lieu à 8 h, le lundi 14 juin, dans la première église de Hearst, inaugurée en février 1920. Dans ces années, les mariages étaient célébrés tôt, habituellement avant 9 h, car les prêtres et ceux qui voulaient communier devaient être à jeun, c’est-à-dire qu’ils n’avaient ni mangé ni bu, pas même de l’eau, après minuit. Les mariages avaient lieu tous les jours de la semaine, sauf le dimanche. L’habitude de se marier le samedi est venue plus tard.

Un mariage double n’était pas inhabituel. Ça coutait moins cher aux familles, tant pour l’office religieux que pour le repas qui suivait. La grande majorité des familles avait peu de moyens ; de plus, comme nous étions en temps de guerre, plusieurs articles étaient rationnés, dont le sucre, le beurre et la viande.

Fait inusité : le voyage de noces s’était fait à cinq les deux premiers jours et à six les jours suivants ! Adrienne, 20 ans, soeur de Jules et d’Alice, avait accompagné les deux couples. Comme le budget était limité, Alice et Raoul l’avaient accueillie dans leur chambre, lors de leur première nuit de noces, dans une cabine sur le bord d’un lac à Kenogami. À Montréal, ils avaient rejoint le père de Jules et Léonce, un de ses frères, qui s’y étaient rendus par train. Les six, dont le père, avaient poursuivi leur voyage jusqu’à Saint-Narcisse-de-Beaurivage et la Beauce pour visiter des membres des familles Camiré et Vaillancourt qui y habitaient et où ils ont été logés. Autre temps, autres moeurs.

De gauche à droite : Léonce Camiré, Arthur Lecours, Odilon Camiré, Jules Camiré, Simone Lecours, Raoul Vaillancourt, Alice Camiré, Louis Camiré et Clodomir Vaillancourt