Skip to content

Thérèse raconte : Savon du pays

Chaque année, ma mère faisait une batch de savon du pays. J’étais très jeune dans ce temps-là, il manque peut-être des détails à mon histoire.

Ma grand-mère Cantin demeurait sur une ferme avec ses cinq fils. (Elle était veuve.) Quand venait le temps de faire boucherie, les hommes devaient garder tout le gras possible, ainsi que les entrailles vides. On les faisait fondre lentement sur le poêle à bois. En refroidissant, la graisse montait sur le dessus. Il fallait conserver cette graisse dans un récipient fermé hermétiquement, jusqu’à ce que vienne le temps de faire le savon.

Une fois rendu en été, on mettait tout ce gras dans une énorme marmite suspendue au-dessus d’un feu, dehors. On ajoutait des ingrédients, je ne sais pas trop ce que c’était, mais ça sentait très, très fort. Ma cousine Gemma me dit que c’est de la « Guilette » (lessie). Il fallait que le tout bouille 24 heures pendant que quelqu’un alimentait le feu et brassait cette potion continuellement… Mes oncles prenaient des tours. Oncle Gérard raconte qu’une fois, il s’est endormi sur la job et le savon n’était pas aussi bien réussi. Ainsi, chaque fois que sa mère utilisait ce savon, il avait droit à un sermon au sujet de prendre ses responsabilités. Il avait hâte à l’été suivant pour faire la prochaine recette, voulant donner son tour à un de ses frères. « Un an de sermon, ça suffit. » Il était défendu pour nous autres, les jeunes, de s’approcher, puisque c’était trop dangereux. C’était bien difficile de résister à la tentation d’aller y mettre le nez.

Après la cuisson, il s’agissait de vider le savon en forme liquide dans des moules en tôle pour en faire ce que ma grand-mère appelait des « pains de savon ». Après quelques jours, le tout se solidifiait. Elle en donnait à ses enfants qui étaient mariés. Ma mère s’en servait pour laver le plancher seulement, ça sentait très fort et elle venait les mains en sang. Nos planchers étaient faits en bois rough. Pas du tout comme les planchers de bois que tu connais. Ce savon maison ne pouvait pas servir à laver le linge ou la vaisselle, ou encore à se laver, il était beaucoup trop fort.

Je crois que c’était une façon d’économiser des sous. Mes parents et grands-parents n’avaient pas beaucoup d’argent. Ils vivaient sous le principe qu’il ne fallait pas gaspiller quoi que ce soit. Ils devaient être tout à fait ingénieux pour trouver des moyens d’économiser. Une chose qu’ils n’épargnaient pas, c’était leur temps et leurs efforts.