Chronique : Quelle est l’utilité de la reconnaissance territoriale ?

En salle de spectacle, l’hôtesse de l’évènement auquel j’assiste s’apprête à présenter l’artiste de la soirée. Mais, avant de commencer, elle livre un message entendu quelques fois auparavant : la reconnaissance du territoire non cédé des peuples autochtones. Dans ce cas-ci, c’est la reconnaissance du territoire des peuples cri, ojibwé et anichinabé faisant partie des multiples Premières Nations de la zone du Traité de la baie James.

Je me suis souvent demandé ce que cette reconnaissance symbolise pour les peuples d’un même territoire. Certaines personnes à qui j’ai parlé pensent qu’il est essentiel de se rappeler des premiers peuples qui se veulent gardiens des terres et des eaux d’une région, en signe de respect. D’autres se demandent sincèrement si le message est plutôt superficiel ou ne va pas assez loin, surtout dans un contexte de réconciliation.

En fait, le geste ne date pas d’hier. Il fait partie d’une diplomatie ancestrale propre aux premiers peuples de l’Amérique du Nord. À la base, c’est une manière de prendre note du fait qu’on est sur le territoire d’autrui et qu’on respecte son rôle en tant que protecteur. Mais alors, pourquoi rapporter la coutume maintenant ?

Mesure de réconciliation

Depuis la publication du Rapport de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) en 2015, la reconnaissance territoriale est devenue une pratique courante afin de mettre en évidence la présence des peuples autochtones habitant le territoire.

Dans la plupart des cas, le discours commence par la reconnaissance du fait que le territoire ancestral n’a pas été cédé, tout en offrant un bref portrait historique de la région avant la colonisation européenne.

« Trop souvent, on raconte l’histoire du pays à partir de l’arrivée des explorateurs européens, du développement du chemin de fer ou des épreuves des familles pionnières, raconte Mélissa Vernier, professeure à l’Université de Hearst. Les reconnaissances territoriales servent d’abord à sensibiliser les gens à cette histoire précoloniale, mais elles servent aussi d’appel à l’action en invitant les gens à prendre connaissance des traités historiques et contemporains, comme la CVR et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui légifèrent et souvent justifient les droits ancestraux et les revendications territoriales des Premières Nations d’aujourd’hui. »

Certaines des critiques des reconnaissances du territoire dénoncent les formules du copier-coller qu’on entend, remettant en question l’intention du discours.

« Pour ces raisons, je suis de l’avis que les énoncés de reconnaissance territoriale devraient être rédigés en collaboration avec les nations autochtones du territoire visé afin de rendre compte plus fidèlement de leur rapport traditionnel à la terre et des ententes territoriales conclues, et ce, dans le vocabulaire et la langue qu’elles utilisent pour se définir », explique la professeure.

« Le processus est donc aussi important que les mots utilisés et invite à une révision régulière des énoncés. C’est peut-être laborieux comme démarche, mais ce sont les échanges réels et continus entre autochtones et allochtones qui mèneront à des relations plus solides fondées sur la compréhension et le respect mutuels. »

C’est l’intention qui compte Karly VanEvery est membre de la Première Nation de Six Nations of the Grand River. Elle a grandi à Brantford, en Ontario, où elle a absorbé beaucoup de culture générale.

La reconnaissance territoriale est un nouveau concept pour cette Mohawk. « Je n’ai jamais entendu quoi que ce soit à propos des reconnaissances territoriales », dit-elle. « La seule chose que je me rappelle d’avoir entendue qui m’a vraiment marquée à propos de notre culture est plutôt l’Ô Canada … où les paroles Our home and native land se démarquaient toujours. »

Ça lui fait chaud au cœur de savoir que la population commence à reconnaitre les racines du territoire et le fait « qu’on partage le même chez soi ».

« C’est agréable de pouvoir vraiment reconnaitre la terre sur laquelle nous nous tenons, sur laquelle nous marchons, que nous partageons, et pas seulement pour les cultures autochtones, mais je pense que ce serait bien de faire cela avec de nombreuses cultures à travers le monde », exprime Karly.

Elle dit que tout revient à notre intention lorsqu’on parle de reconnaissance territoriale et qu’il est bon de s’interroger quant aux raisons pour lesquelles on souhaite reconnaitre le territoire, et de le faire avec authenticité et sincérité.