Les petits tannants

Avec 10 garçons dans la maison de mes grands-parents, Stéphanie Pouliot et Arthur Lecours, c’était parfois turbulent. Tante Monique me racontait que ses frères la taquinaient souvent, particulièrement François (qui venait juste avant elle) et Jules (qui venait juste après). Les plus jeunes suivaient leur exemple.

Ils l’agaçaient jusqu’à ce qu’elle se fâche et pleure. Quand elle se sauvait à bicyclette, les garçons la rattrapaient avec le poney. Ils lui enlevaient sa bicyclette et elle devait revenir à la maison à pied.

Dans certains cas, Stéphanie brandissait un balai, feignant de les frapper, mais ils étendaient les bras en croix et disaient : « À l’aide ! On se fait crucifier ! » (Même jeunes, ils avaient un sens d’humour particulier, trait de caractère qu’ils ont conservé toute leur vie.) Ils savaient bien que leur mère ne les toucherait pas, elle avait trop bon cœur. Puis, ils faisaient les fous et la faisaient rire. Par moments, elle les menaçait en disant : « Attendez que je raconte à votre père ce que vous avez fait. » Mais elle ne disait rien.

Arthur avait un caractère prompt et elle ne voulait pas qu’il fasse une crise. Ça arrivait à mon grand-père de perdre patience. Par exemple, il réprimandait ses garçons parce que la grange n’était pas en ordre ou parce qu’ils ne s’étaient pas bien occupés des animaux, ou encore, parce qu’ils n’avaient pas mis la crème au chemin où elle était ramassée par le propriétaire de la beurrerie. Il semblait oublier leur jeune âge et le temps qu’ils consacraient à l’école, à leurs devoirs et aux travaux domestiques. Il explosait facilement, mais se calmait rapidement. Par contre, personne n’osait lui tenir tête. Simone et Monique étaient obéissantes et il n’avait rien à redire. Sans doute qu’il n’aimait pas vraiment les travaux de la ferme, et qu’il préférait sa scierie. En plus, il était souvent fatigué lorsqu’il venait à la maison, ce qui contribuait à son manque de patience. J’aimerais vous faire part d’occasions où les garçons furent grondés. Comme ma mère, Simone, disait : « On en rit aujourd’hui, mais, à ces moments-là, ce n’était pas drôle. » Le poney étalon de la famille avait ce qu’on appelait « des crises d’amour ». Il était attaché, mais réussissait parfois à se libérer tellement il se débattait. Il galopait alors à travers champs jusqu’à Hallébourg (5 milles/8 km) pour aller courtiser des juments. Il causait de temps à autre des dégâts chez des fermiers. Mon grand-père les remboursait tout en maugréant contre ses gars. Puis, un jour, le chien Rex fut mis en cause. Un printemps, dans la nuit d’un vendredi au samedi, il s’était rendu chez l’un des voisins, la famille Bishop, et avait mordu une centaine de poulets qui étaient tous morts. (Ils n’avaient qu’une morsure légère, donc étaient très peu abimés.)

M. Bishop était furieux ; mon grand-père aussi. Il avait blâmé ses gars de ne pas avoir surveillé adéquatement le chien. Jules avait environ 10 ans, Charles 9, Léon 7. (Benoit et Laurent étaient trop jeunes pour être accusés ; les plus vieux travaillaient à Calstock avec mon grandpère.) M. Bishop était arrivé chez mes grands-parents avec les poulets et avait réclamé une compensation. Mon grand-père avait payé la somme demandée, avait déposé les poulets au frais dans la grange, puis les avait mis en vente à bon prix. Sans doute en avait-il parlé sur le perron de l’église le dimanche matin, car les gens avaient été nombreux à se présenter pour acheter des poulets. Tout d’un coup, mon grand-père était devenu populaire ! Même le Dr Chalykoff était venu. Ça avait flatté mon grand-père. Sa colère s’était dissipée. Le plus cocasse, c’est que le journal local anglophone avait raconté cet incident, écrivant toutefois que le chien des Lecours avait détruit le poulailler et tué les poulets de monseigneur, croyant que Bishop se référait à l’évêque. On avait trouvé étrange qu’un homme d’Église élève des poules… En lisant cet article, toute la famille avait bien ri, y compris mon grand-père. En d’autres occasions, Arthur pouvait se montrer gentil et indulgent envers ses garçons. Par exemple, il avait initié François à la trappe et ce dernier avait enseigné les rudiments aux plus jeunes. Ils trappaient, sur la ferme, divers animaux, dont les rats musqués et les renards pour leur fourrure. Les renards étaient considérés comme des animaux nuisibles puisqu’ils attaquaient les poules.

Au début, ils trappaient avec des cages ; plus tard, ils ont utilisé des collets. Un jour, mon grand-père avait attrapé un renard argenté que les enfants avaient trouvé très beau. Il avait aussi piégé deux renards roux, un mâle et une femelle, et il les avait gardés dans une grande cage pendant quelques mois, espérant qu’ils aient des petits. Ce fut sans succès. Il fallait posséder beaucoup de savoir-faire pour trapper des renards : ils sont futés et difficiles à traquer. Ce n’est pas pour rien qu’on dit « rusé comme un renard ».

La Compagnie de la Baie d’Hudson, qui était installée à Montréal, n’avait pas d’acheteurs sur la route à ce moment-là, mais il y avait des petits acheteurs de fourrures un peu partout : à Hearst, à Mattice, à Fauquier. Léon disait qu’il recevait en moyenne de deux à trois dollars la peau. Une fois, il avait obtenu 95 $ pour un petit renard, ce qui était considérable à l’époque. « S’il n’avait pas eu de poils rouges dans les oreilles, on m’en aurait donné 100 $, disait-il. C’était un truc de bandits ! » Il était bien fier de sa capture.

Aujourd’hui, disait-il, ce même renard vaudrait de 25 $ à 30 $, tellement les prix ont dégringolé. Les revenus que Léon avait remportés de la trappe lui avaient permis de s’acheter une bicyclette pour 35 $. Léon a toujours entretenu un intérêt pour la trappe et il en a fait jusqu’à l’âge de 70 ans. Il capturait surtout des castors, des visons et des martres. Il a même élevé des visons pendant quelques années sur une ferme qu’il avait achetée non loin de celle de son enfance. À la retraite, il a également acquis une expertise dans la fabrication de raquettes de bois. Il s’était rendu dans une communauté crie de la baie James pour y apprendre la technique. Il faisait tout lui-même, à partir de zéro. Il disait en souriant que ce travail représentait « du sang, de la boue et de la bière ».

Jules, Benoit, Léon, Laurent, Charles et Rex, le chien.