Manifestations pacifiques à Ottawa autour de la question de l’avortement

FRANCOPRESSE – Quelques milliers de manifestants antiavortements se sont rassemblés devant le Parlement et ont marché dans Ottawa le jeudi 12 mai à l’occasion d’un évènement annuel organisé par la Campaign Life Coalition. Des contremanifestants ont scandé des slogans tels que «mon corps, mon choix» et ont paru frustrés d’être confinés en marge de la zone principale, mais le tout s’est déroulé pacifiquement.

Ericka Muzzo – Francopresse

Selon des estimations de médias présents, environ 2000 personnes ont défilé dans la capitale en après-midi, le jeudi 12 mai, contre le droit à l’avortement. Le sujet a récemment refait surface aux États-Unis.

La foule a entonné l’Ô Canada suivi d’une prière, puis divers intervenants ont prononcé des discours à connotation religieuse et « pro-vie ».

La contremanifestation a rassemblé essentiellement des femmes, alors que de nombreux hommes participaient à la manifestation contre l’avortement.

Des manifestants pour « la vie humaine »

Plusieurs manifestants étaient réticents à parler aux médias. Un petit groupe venu de Montréal a accepté de parler à Francopresse, indiquant qu’ils étaient venus pour défendre « la vie humaine ».

L’un d’entre eux, Christian, nous a confié qu’il était lui-même le fruit d’un viol ayant eu lieu en 1966 : « Ma mère m’a avoué en 1999 que s’il y avait eu l’avortement, elle se serait probablement débarrassée de moi. Je ne dis pas que le viol est correct, mais on ne peut pas commettre un crime pour essayer d’en réparer un autre », estime-t-il.

L’avortement a été reconnu comme un crime au Canada jusqu’en 1988. Jusqu’en 1969, toute personne qui pratiquait un avortement était passible de prison à vie.

Danielle, qui accompagne Christian, croit pour sa part qu’il faudrait offrir davantage de soutien aux femmes enceintes. Elle suggère par exemple la mise sur pied de « places de la famille », où obtenir du répit et des services.

Questionnés à savoir ce qu’ils pensaient de la contremanifestation, Christian et Danielle ont indiqué qu’ils « ne l’avaient pas vue ».

« Je suis une féministe »

De l’autre côté de la clôture, la contremanifestante Josée Laramée raconte une tout autre histoire.

Elle travaille depuis plus de 30 ans auprès de survivantes d’agressions sexuelles et occupe aujourd’hui le poste de coordonnatrice des services au Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) francophone d’Ottawa. La militante explique être elle-même tombée enceinte des suites d’un viol alors qu’elle avait 21 ans.

« Je voulais me faire avorter, mais des groupes religieux m’ont influencée à garder mon enfant. Je suis une féministe et ce sont les féministes qui m’ont aidée à guérir de ces blessures », raconte-t-elle aujourd’hui.

À ses yeux, il était « hyper important » de venir contremanifester «en ce moment où les États-Unis ont pris des positions inacceptables, où on recule en arrière en matière de contrôle du corps des femmes».

« Au Canada, il n’est pas question qu’on fasse un pas en arrière, et Justin Trudeau et le fédéral l’ont bien prouvé hier en investissant des millions » pour améliorer l’accès à l’avortement, ajoute Josée Laramée, qui se réjouit de voir autant de jeunes femmes venues contremanifester.

Un accès inégal et des fonds supplémentaires

Le gouvernement du Canada a annoncé le 11 mai qu’il tirerait plus de 3,5 millions $ du Fonds pour la santé sexuelle et reproductive (FSSR) de Santé Canada pour améliorer l’accès à l’avortement via le financement de projets dirigés par deux organismes : Action Canada pour la santé et les droits sexuels (Action Canada) et la Fédération nationale de l’avortement du Canada (FNA Canada)

Le FSSR est un fonds de 45 millions $ créé dans le budget fédéral 2021 « afin d’améliorer l’accès à une gamme complète de mesures de soutien, de renseignements et de services en matière de santé sexuelle et reproductive, y compris à des services d’avortement, pour les personnes au Canada ».

À lire aussi : L’accès à l’avortement toujours inégal au Canada, 33 ans après sa légalisation

Au Nouveau-Brunswick, où le gouvernement refuse de financer les interruptions de grossesse pratiquées en dehors des hôpitaux, le premier ministre Blaine Higgs s’est ouvertement déclaré antichoix et a indiqué qu’il n’avait pas l’intention de changer son approche en la matière.

Le Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick (RFNB) a réagi dans une lettre ouverte : « C’est une atteinte sans pareille à l’égalité des genres. Nous savions déjà que ce gouvernement ne faisait pas grand cas des femmes et des minorités de genre, en voici la preuve », souligne la présidente de l’organisme, Monique Brideau.

Jagmeet Singh en appui à la contremanifestation

Le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, était sur place et s’est entretenu avec une représentante de l’organisme Planning de naissances d’Ottawa.

En entrevue en français avec Francopresse, il a indiqué vouloir montrer clairement que le NPD « est pour les droits des femmes, pour le droit de choisir ».

Jagmeet Singh indique que son parti propose trois mesures pour favoriser l’accès à l’avortement : utiliser la Loi canadienne sur la santé pour « forcer » les provinces et territoires à financer les services d’avortement, « tout de suite investir en général pour plus d’accès » et instaurer une assurance-médicaments publique et universelle au Canada, en commençant par couvrir tous les médicaments de contraception.

Le chef du NPD n’avait pas l’intention de discuter avec les manifestants antichoix : « Je ne veux pas donner plus d’attention à leur mouvement », indique-t-il en ajoutant avoir été « insulté un peu par les organisateurs de la manifestation » à son arrivée.

« On veut prioriser l’appui pour les communautés et les gens qui sont pour les droits des femmes au lieu d’essayer de parler avec des gens qui sont contre », conclut-il.

La position de Campagne Québec-Vie

Georges Buscemi, président de l’organisme Campagne Québec-Vie, croit pour sa part que « permettre l’avortement, c’est permettre l’injustice à l’égard d’enfants à naitre à qui on doit la vie parce qu’ils sont humains ».

À ses yeux, une femme qui est enceinte « est déjà mère », qu’elle veuille ou non des enfants.

« Si c’était une grossesse non voulue, car forcée, alors c’est une situation tragique et criminelle que nous condamnons et que nous combattons aussi avec la loi. C’est un viol. Nous sommes contre le viol bien sûr parce que c’est une atteinte à la personne, ça cause des drames sérieux et des tentations à avorter qui sont compréhensibles, mais illégitimes quand même parce que l’enfant est déjà là », explique-t-il.

« Je dirais à cette femme enceinte qui ne veut pas d’enfant : “ Je suis désolé, mais vous êtes déjà mère. Je suis prêt à vous aider à cheminer pour accepter votre enfant ” », ajoute-t-il.

Georges Buscemi est d’accord avec le programme de la candidate antichoix à la chefferie conservatrice Leslyn Lewis, qui veut selon lui « bonifier l’aide aux centres pour femmes enceintes en difficulté ».

À lire aussi : Débat conservateur : Temps de parole limités et peu de place aux attaques

Le président de Campagne Québec-Vie croit que le « sens de la valeur de la vie vient avec la foi ». Il concède que sans cela, la position antichoix « devient absurde si on est juste un amas de cellules, chacun de nous, et que les droits de l’Homme et tout ça c’est du flafla qu’on utilise pour masquer notre volonté de pouvoir ».

« Je comprends l’argument proavortement dans ce contexte-là de nihilisme et d’athéisme, mais s’il y a un dieu qui aime et qui crée chaque personne, ben là c’est la position proavortement qui devient absurde », pense-t-il.

Alors que le Sénat américain a fermé la porte le 11 mai à la légalisation de l’avortement, les États-Unis attendent la décision de la Cour suprême concernant l’arrêt Roe c. Wade, attendue fin juin ou début juillet.

Un sondage de la firme Léger Marketing dont les résultats sont parus la même journée expose que 56 % des Américains pensent que la décision Roe c. Wade ne devrait pas être renversée, 28 % pensent qu’elle devrait l’être et 16 % ne le savent pas.

Au Canada, 64 % des répondants sont en faveur de l’introduction d’une loi pour protéger le droit à l’avortement.

Photos : Marianne Dépelteau – Francopresse