CHRONIQUE : une campagne qui vise à valoriser nos parlers

L’insécurité linguistique est deux mots qu’on entend souvent chez les jeunes en milieu francophone minoritaire depuis quelques années pour décrire un malaise ou une gêne par rapport à la langue. La Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) se concentre plutôt sur la « sécurité linguistique » dans sa nouvelle campagne de valorisation des accents qu’elle a intitulée Franco-Rebelle, un qualitatif positif pour étiqueter les jeunes francophones hors Québec qui choisissent de célébrer leur langue, y compris leur accent.

En regardant les courts-métrages de la campagne sur YouTube, ça m’a fait chaud au cœur de voir des jeunes comme moi, des quatre coins du pays, qui vivent leur francophonie à fond, malgré les obstacles. Originaire de Timmins, un milieu où il est difficile de vivre son quotidien entièrement en français, il m’est arrivé à plusieurs moments de me questionner. Est-ce une cause perdue ? Suis-je assez en sécurité linguistiquement pour accepter mon français tel qu’il est ? Serait-ce plus facile de continuer mon parcours en anglais ?

Des expériences semblables

La semaine dernière, je me suis entretenu avec les animateurs des capsules web de la campagne Franco-Rebelle, Alec Victor et Patrick Martin, originaires de Moncton. Les deux parlent un vernaculaire propre aux francophones du sud-est du Nouveau-Brunswick appelé le chiac. Ils étaient curieux de découvrir les accents et les parlers d’ailleurs au Canada.

Par l’intermédiaire de la campagne de la FJCF, les animateurs tentent d’identifier la multitude de dialectes qui existent et de les mettre en lumière. Martin reconnait lui-même le défi d’avoir un vernaculaire différent et d’en être fier, notamment lorsque certains commentaires négatifs à propos de son accent peuvent parfois être une source de honte.

« Même si le français est une [langue minoritaire], on a quand même des Franco-Rebelles et des jeunes qui se battent pour parler la langue, commente l’animateur. Ça pourrait être tellement facile pour eux autres de juste dire : ça ne vaut plus la peine de parler le français [quand] tout est en anglais. »

Je me suis reconnu dans ce propos. Je cherche souvent la raison pour laquelle je n’ai pas suivi le même parcours que les autres jeunes de mon coin de pays. La plupart sont heureux et vivent leur vie en anglais, certains en français et beaucoup entre les deux. De mon côté, j’ai choisi une carrière qui fait de moi une exception, soit vivre presque entièrement en français, en Ontario. En fait, pour vous mettre en contexte, je parlais plus souvent en anglais à Montréal qu’à Hearst. Mais travailler en français, ça veut dire utiliser le français normatif afin d’écrire, parler et communiquer. Il y a des enjeux auxquels font face certains francophones hors Québec qui choisissent d’être Franco-Rebelles, surtout quand leur registre de langue pose des limites. Je me demande s’il est réellement possible de vivre dans un monde avec une pluralité de dialectes tout en exigeant un certain standard linguistique, notamment lorsque son parler est une source de jugement ou une barrière.

Changer la narration

La Présidente de la FJCF, Marguerite Tölgyesi, explique que la campagne a pour but de sensibiliser les francophones à la diversité de la francophonie canadienne et de faire savoir aux jeunes qu’ils ne sont pas seuls dans leur région. Tannée de la connotation négative de l’insécurité linguistique, la FJCF se penche sur le positif.

« Si on bâtissait ensemble la sécurité linguistique, ça serait beaucoup plus fort, dit-elle. Il y a assez de négativité dans le monde. Les jeunes doivent focuser sur le positif. »

Il est correct de parler comme on le fait, dit Tölgyesi, une remarque qui s’oppose catégoriquement aux discours que j’ai entendus au cours de ma vie. À l’âge de 10 ans, les jeunes dans la cour d’école se moquaient de mon anglais francisé. À 20 ans, les adultes se moquaient de mon français anglicisé. On dirait que la majorité de ma vie, mon rapport à la langue n’a pas été très positif.

Pour changer l’histoire, je m’inspire de cette campagne. La sécurité linguistique, à mes yeux, c’est de s’accepter, radicalement, peu importe les mots et phonèmes employés, tout en reconnaissant ses limites et ce qui reste à améliorer. Dans un monde bien trop axé sur la perfection, on aurait peut-être besoin d’arrêter de parler d’insécurité pour se tourner vers la sécurité — voire la fierté — de parler selon son désir.

Photo : https://l-express.ca/franco-rebelles-fjcf-jeunes-accents-francophones-francais-insecurite-linguistique/