Les ingénieurs formés à l’étranger n’ont plus besoin d’avoir une expérience de travail au Canada pour obtenir un permis pour pratiquer en Ontario. D’ailleurs, l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario estime que jusqu’à 60 % des candidats au permis chaque année sont formés à l’étranger.
Le ministre ontarien du Travail, Monte McNaughton, a indiqué cette semaine que l’Ordre des ingénieurs de la province avait abandonné cette exigence pour les ingénieurs immigrants qualifiés. Selon le gouvernement, 7000 postes vacants pourront être pourvus plus rapidement.
Le ministre McNaughton affirme qu’il s’agit du premier ordre professionnel à apporter le changement depuis que l’Ontario a adopté une loi, en octobre 2021, qui empêchera plus de 30 professions et métiers spécialisés non liés aux soins de santé d’exiger une expérience de pratique au Canada. Le ministre s’attend à ce que d’autres ordres professionnels comme pour des architectes ou des arpenteurs-géomètres abandonnent de manière proactive cette exigence d’ici la fin de l’année, date limite prévue par la loi.
Toutes les personnes immigrantes rencontrées lors de ce reportage ont ressenti un amour et un respect lorsqu’elles ont mis les pieds à Cornwall. Certaines ont décidé de former une association pour que les communautés immigrantes puissent se rassembler.
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Charles Fontaine – IJL – Réseau.Presse –Le Droit
Aïcha Kapkop, originaire du Cameroun, est arrivée à Cornwall le 7 décembre 2017. Elle ne peut pas l’oublier tellement il avait neigé. Lorsqu’elle est arrivée à son appartement, des gens de la ville l’attendaient. Leur loyer était coloré, décoré. « Je ne peux pas oublier ça, lance Mme Kapkop.
L’accueil était formidable. Depuis le premier jour, mon mari et moi on s’est senti à l’aise. On pouvait vivre notre religion tranquillement. À l’école des enfants, ils peuvent mettre leur voile et prier à l’école. Ça, pour mon mari et moi, ça nous a beaucoup, mais beaucoup marqués. »
Même si elle remarque qu’il n’y a pas beaucoup d’immigrants à Cornwall, elle observe un amour mutuel entre les différentes langues et cultures. « On apprend à vivre ensemble malgré nos différentes façons de vivre, affirme-t-elle. Je pense qu’à Cornwall il y a de l’amour et de l’harmonie entre toutes les souches de la population. C’est un vrai vivre-ensemble à Cornwall. »
Mme Kapkop avait vécu quelques semaines dans la ville de Québec, mais n’avait pas ressenti ce respect-là pour sa religion.
Elle a tellement embrassé cette harmonie qu’à peine trois ans après avoir élu domicile dans cette ville, elle a cofondé l’Association des Femmes Immigrantes Francophones Cornwall-SDG (AFIF). L’étudiante en infirmerie au St. Lawrence College voulait que les personnes immigrantes, même si elles sont bien accueillies, puissent se rassembler avec des personnes d’une même culture.
L’association travaille à l’épanouissement des femmes et des filles immigrantes, car « il y a des choses entre femmes qu’on ne peut pas dire quand il y a des hommes, mentionne la présidente. On peut dire des choses librement sans avoir peur que quelqu’un nous regarde ».
L’AFIF accueille les nouveaux arrivants avec des produits de première nécessité, organise des activités adaptées aux immigrants et s’assure que chacun garde un lien avec sa culture. Il y a entre autres des dîners communautaires où chacun cuisine un plat typique de son pays. « On n’a pas de famille ici, alors on vient créer une famille », dit Aïcha Kapkop.
Connecter par la culture
Également originaire du Cameroun, Calixte Yepseu s’est amené à Cornwall en 2018, après un an passé à Gatineau, sa première ville d’accueil au Canada. Il a été attiré par la caractéristique bilingue de la ville et sa position géographique. L’accueil a été chaleureux et ça se poursuit depuis. À Gatineau, son premier fils a été victime de préjugés et de racisme à l’école, mais à Cornwall c’était l’acceptation, raconte-t-il.
En 2018, il a rejoint l’Association africaine, caribéenne et internationale de l’Est de l’Ontario (ACIAEO), fondée par un petit groupe d’immigrants en 2015. Sauf que M. Yepseu souhaitait élargir les activités pour qu’un plus grand nombre de personnes puissent en bénéficier. Il a été élu président en 2020.
Maintenant, même les personnes natives de la ville peuvent participer aux activités. « Même si la personne n’est pas africaine, elle peut se sentir dans la peau d’un Africain, soutient-il. C’est pour épouser les valeurs de l’Afrique et des Caraïbes. »
L’ACIAEO accompagne les enfants dans leur apprentissage et fait sortir les aînés de leur maison en leur organisant des activités. Ils aident les nouveaux arrivants à s’installer. « La clé de l’intégration est la culture, indique M. Yepseu. Même pour les natifs de la ville, on essaie de les former sur les compétences culturelles, parce que c’est important de pouvoir connaître la culture de l’autre pour pouvoir l’accepter. »
Quand Bernadette Clément a été élue, il a encore plus senti que son peuple pouvait accomplir de grands exploits. « C’était un honneur pour le peuple noir en général, de savoir qu’on peut aussi occuper des positions élevées. C’était un modèle pour encourager les autres noirs à oser. »
Aider ses semblables
Comme disent Aïcha Kapkop et Calixte Yepseu, la population peut bien être clémente avec les nouveaux arrivants, il reste qu’il est difficile de s’adapter dans un nouveau pays.
L’Association des communautés francophones de l’Ontario, de Stormont, Dundas et Glengarry (ACFO SDG) s’acharne également pour que les personnes immigrantes soient installées le plus rapidement possible. L’association les guide vers les différents services qui peuvent les aider selon leurs besoins. « On les prend par la main et on les aide dans leur intégration, peu importe la langue et la culture », explique le président Jean-Yves Lemoine.
Une des manières de les aider est de leur fournir des vêtements. L’ACFO SDG gère une friperie à Cornwall entièrement destinée aux nouveaux arrivants.
Une de ces arrivantes, Espérantine Desardouin, a quitté Haïti pour Cornwall il y a trois mois. Après avoir bénéficié de l’aide de l’organisme, elle est maintenant bénévole à la friperie. « C’est une grande famille. À Cornwall, on se sent chez nous. On a ressenti une chaleur humaine. Nous sommes bien encadrées. J’ai tout ce dont j’ai besoin, grâce à la communauté. »
Photos
Espérantine Desardouin a émigré d’Haïti pour le Canada il y a trois ans. (Charles Fontaine, Le Droit)
Aïcha Kapkop, cofondatrice de l’Association des Femmes Immigrantes Francophones Cornwall-SDG (AFIF) (Charles Fontaine, Le Droit)
Jean-Yves Lemoine, président de l’Association des communautés francophones de l’Ontario, de Stormont, Dundas et Glengarry (ACFO SDG). (Charles Fontaine, Le Droit)
En 2018, la communauté de Cornwall élisait la première mairesse noire en Ontario. En 2022, elle a élu le premier conseiller noir de la ville. Pour la population, ces étiquettes ne sont pas ce qui compte. L’individu et ses valeurs sont plus importants que ses origines lors d’une élection.
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Charles Fontaine – IJL – Réseau.Presse –Le Droit
Bernadette Clément a fait les manchettes il y a quatre ans lorsqu’elle est devenue mairesse de Cornwall. « Quand j’ai été élue mairesse, tous les médias étaient là et ils étaient excités vu que j’étais la première mairesse noire en Ontario, se rappelle Mme Clément. Pour les gens de Cornwall, ils venaient d’élire Bernadette. What’s the big deal ? »
Photo d’archives
Ce jour-là, Cornwall, ville de 46 589 habitants à l’époque, dont 6,9 % d’immigrants, élisait un ou une maire noir avant Ottawa, qui était composé à 23,2 % de population immigrante. Le premier conseiller noir de la ville d’Ottawa a été Rawlson King en 2019.
Lorsque Mme Clément menait sa campagne, elle savait qu’elle pourrait devenir la première mairesse noire de l’histoire de la province. Dans son cercle rapproché, on lui avait conseillé de ne pas mentionner cette étiquette en rencontrant les gens. « Mais la communauté était au courant », note-t-elle.
Avec le recul, elle aurait fait les choses différemment. « J’aurais eu des conversations là-dessus pour rejoindre des populations qui ont besoin d’entendre ces discours-là. Après la mort de George Floyd, je réalisais que j’avais une obligation de devenir un peu plus éloquente au niveau de mon héritage. […] C’est un message puissant aux petites filles et à la population noire. Je réalisais qu’en menant cette campagne, il y avait un message spécial pour les autres communautés. »
Fred Ngoundjo aussi était conscient qu’il pouvait être élu premier conseiller noir de l’histoire de la ville. Ça n’a pas fait non plus objet dans sa campagne. « Je défendais des projets, la couleur de ma peau n’était pas un projet de discussion, affirme-t-il. Ça m’a donné la chair de poule à chaque fois [que je cognais aux portes]. Chaque fois, j’ai été accueilli d’une manière extraordinaire, ça m’a rendu ému. La couleur de ma peau ne compte pas, on voit l’individu. Ailleurs, ça aurait pu être, on regarde, on voit un homme noir et puis on ferme la porte. Ça existe ailleurs. »
Le Camerounais d’origine a vécu plusieurs années en Belgique et trois ans à Ottawa avant de s’installer à Cornwall. Il remarque l’inclusion spéciale dans cette ville. « C’est un leadership très fort que la ville de Cornwall envoie aux provinces. Une telle ouverture, une telle inclusion! Même au niveau du monde! J’ai vécu en Europe, en Afrique et en Amérique du Nord et c’est difficile de voir des hommes noirs au niveau municipal et décisionnel dans leur communauté. Les résidents peuvent être fiers d’avoir cette vision, cette ouverture. »
Le nouveau maire de Cornwall, Justin Towndale, est Indien. Sur la scène municipale de la ville depuis 2014, il rapporte également que les origines des candidats importent peu pour la communauté. « La race, la couleur de peau, rien de tout cela n’est important. Les gens te regardent comme un candidat. »
Communauté complexe et en harmonie
Avant de découvrir Cornwall, M. Ngoundjo est « tombé en amour » avec le Canada. Quand une de ses amies lui a parlé de Cornwall et qu’il a visité la ville, « c’était le paradis ». « Il y a vraiment eu un coup de foudre avec la ville, dit-il. La beauté, le rapport avec les gens, le bord de l’eau, tout ça a fait qu’on a décidé de s’installer ici. »
En sept ans, il n’a jamais reçu de commentaires racistes dans sa ville, ses enfants non plus. « En tant que parents noirs, on a toujours une crainte pour les enfants. Comment vont-ils se sentir à l’école, s’ils seront marginalisés, etc. C’est une des choses qui m’a le plus rassuré, que les enfants se sentaient bien. »
Bernadette Clément est née d’un père originaire de Trinidad-et-Tobago et d’une mère franco-manitobaine. Née à Montréal, elle s’est installée à Cornwall il y a 31 ans pour un poste en aide juridique. Elle n’a pas quitté la ville depuis.
L’ancienne mairesse, maintenant sénatrice, note que la population est à l’aise avec les dualités.
« On est à l’aise avec la complexité, remarque-t-elle. Les Mohawks d’Akwesasne sont là depuis longtemps. On a une question de survie à Cornwall. On a souvent été en transition. L’industrie de la manufacture est partie, alors on se redéfinit. Ça fait partie de l’énergie à Cornwall. On accueille du monde, parce qu’on a besoin de monde. »
« Notre réputation n’était pas bonne avant, vu que c’était une ville d’usine de coton, mentionne Justin Towndale. Nous sommes très diversifiés en tant que communauté. »
Mme Clément confie qu’elle est devenue Franco-Ontarienne à Cornwall. « Les francophones, c’était les premiers à m’accueillir, se rappelle-t-elle. C’est ça la francophonie à Cornwall. Ils ont besoin de relève. On est conscient qu’on est en minorité et qu’on doit soutenir nos écoles francophones. Il y a une question de survie. Ça fait longtemps qu’ils comprennent ce défi-là et ils sont très actifs. […] On est à l’aise avec les dualités linguistiques, mais on passe à travers. Alors quand il y a de nouveaux arrivants, on est à l’aise avec cette diversité. »
En se promenant à Cornwall, on remarque que la francophonie à Cornwall se fait sentir, même si elle représente 19,4 % de la population. Les travailleurs francophones nous accueillent à bras ouverts dans leur commerce et les anglophones se forcent à l’occasion pour vous servir en français. Il y a des écoles francophones au niveau primaire et secondaire et l’hôpital est bilingue.
Bernadette, l’inspiration
Fred Ngoundjo et Justin Towndale le disent, Bernadette Clément a marqué l’histoire de la ville de Cornwall. Et pas seulement parce qu’elle est devenue la première mairesse noire en Ontario.
« Elle a un leadership, dit M. Ngoundjo. Elle a marqué cette ville de manière très positive. En étant le porte à porte, je réalisais que les gens s’ennuyaient de Bernadette. Elle a réussi à mettre à l’aise autant les communautés anglophones que francophones. »
« Personne ne peut la remplacer », lance le nouveau maire.
Ngoundjo affirme même que Mme Clément a été son inspiration pour se lancer en politique.
Ça a pris un an à la nouvelle sénatrice avant de faire son deuil de son ancien emploi. Quand le premier ministre l’a appelé en lui offrant le poste de sénatrice, elle était heureuse de son nouveau poste, mais triste en même temps. « Je n’en avais pas parlé à ma communauté et il fallait que je démissionne quasiment immédiatement. Quand on est maire pendant une pandémie, il y a un lien très fort qui se crée avec les gens. Pour moi, c’était une rupture très raide. Ça a été très difficile pour moi. Avec l’élection du maire Towndale et de Fred, ça a été un soulagement. »
Photo principale : Justin Towndale, maire de Cornwall (Charles Fontaine, Le Droit)