Des avocats s’insurgent contre le traitement du gouvernement envers leurs clients autochtones

En décembre 2023, le gouvernement de Doug Ford a mis fin à un programme coordonnant le retour des Autochtones du Grand Nord chez eux après avoir purgé une peine de prison. Depuis ce temps, les Autochtones ayant complété leur sentence sont laissés sans ressource. Les employés de la prison doivent s’assurer de trouver un transport jusqu’à l’aéroport, mais une fois que la personne est partie, l’équipe de la prison n’en est plus responsable. Plusieurs avocats déplorent le traitement inhumain et dangereux que doivent subir leurs clients.

Avant 2024, un programme gouvernemental nommé Discharge Program qui était géré par Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation prenait en charge tous les Autochtones qui avaient complété une peine de prison et souhaitaient retourner chez eux. La journée même de la sortie de l’établissement correctionnel provincial, le programme s’assurait du trajet de la prison à l’aéroport, des repas et de l’hébergement advenant que le transport aérien ne puisse décoller vers la communauté de la personne en question.

Dans une lettre écrite par Chantelle M. Johnson le 31 janvier 2024, la directrice générale de Nishnawbe-Aski Legal Services Corporation, on annonçait la fin du programme qui a aidé plus de 3000 Autochtones du Grand Nord en leur offrant un transport sécuritaire et sans délai.

Me André Lehoux est un avocat représentant plusieurs Autochtones du Grand Nord depuis plus de 15 ans. Il déplore le fait que plusieurs de ses clients doivent demeurer en prison plusieurs jours supplémentaires puisqu’aucun avion n’est disponible le jour de leur sortie. « À titre d’exemple, si j’ai un client de Moosonee qui a rempli sa peine un mercredi, si le prochain avion vers Moosonee décolle seulement le lundi suivant, mon client passera cinq autres nuits à la prison. On parle de liberté d’une personne, c’est très grave ! », persiste à dire Me Lehoux en ajoutant que si une telle situation arrivait à une personne blanche, on en entendrait parler largement plus. « Les gouvernements sont en processus de vérité et réconciliation, bien avec cette décision purement politique, on repassera.

Histoire d’horreur

Isaac Edwards d’Attawapiskat, une communauté sur la côte de la Baie James à 2 heures 15 minutes d’avion de Timmins, a accepté de raconter son histoire au journal Le Nord. L’homme de 29 ans a obtenu une libération sous caution le mercredi 7 février de cette année. Il a dû passer une nuit supplémentaire à la prison de Monteith puisque l’avion se dirigeant vers sa communauté décollait seulement le lendemain (jeudi 8 février).

La responsabilité de l’établissement carcéral était de garantir un transport de la prison à l’aéroport de Timmins. À ce moment, une tempête de verglas s’abattait sur la région. L’appareil qui devait reconduire M. Edwards chez eux n’a pas été en mesure d’atterrir à l’aéroport d’Attawapiskat à cause de la température, donc son avion est retourné à Timmins reportant le voyage au lendemain.

Sans un sou en poche et ne pouvant dormir à l’aéroport, il quitte à pied vers le centre-ville de Timmins. Il est incapable de convaincre un automobiliste de le prendre sur le pouce. Deux heures et demie de marche ont été nécessaires pour compléter le trajet d’une douzaine de kilomètres sous de la pluie verglaçante.

Il espérait aller dormir chez une cousine, mais à son arrivée à l’appartement, il constate qu’une fête a lieu et l’alcool coule à flots. Afin de respecter les clauses de sa remise en liberté, il quitte immédiatement l’appartement et passe la nuit dans la rue.

Vers 4 h 30 le matin du vendredi 9 février, il marche de nouveau vers l’aéroport pour ne pas manquer le vol supposé le reconduire chez lui. Une fois de plus, son avion décolle, mais impossible d’atterrir à Attawapiskat. Retour à la case départ à l’aéroport de Timmins. Pour ajouter à sa peine, ses vêtements sont complètement trempés et il doit une fois de plus marcher de l’aéroport au centre-ville de Timmins.

Le prochain avion disponible pour retourner chez eux était le lendemain, le samedi 10 février. Reparti sur le pouce, personne ne lui offre le trajet. Après une autre marche de deux heures et demie, il réussit à obtenir de l’Internet pour faire fonctionner son téléphone cellulaire qui ne comptait plus de minutes. Il réussit à envoyer un message à son avocat, Me André Lehoux, par Messenger. « Isaac m’a écrit et j’ai vu son message seulement en fin de journée. J’ai réussi à le joindre et tu pouvais entendre dans sa voix qu’il avait très froid puisqu’il était trempé », se remémore l’avocat de Hearst. « En même temps, sa famille d’Attawapiskat me téléphonait aussi parce qu’elle n’avait pas de nouvelles de lui. »

C’est Me Lehoux qui a sorti de l’argent de sa poche pour assurer un minimum de dignité à M. Edward. « Je me suis arrangé avec un motel et je lui ai payé une chambre en plus de lui donner 60 $ pour qu’il puisse manger quelque chose et se rendre à l’aéroport le lendemain, en taxi. Il n’avait pas mangé depuis près deux jours. C’est complètement déplorable, même mon chien est beaucoup, beaucoup mieux traité que ça. On ne fait pas ça aux animaux puis là on parle d’un être humain, mais personne n’en parle, parce que ce sont des Autochtones du Grand Nord. »

L’histoire d’Isaak Edwards ne serait pas un cas isolé. Selon Me Lehoux, même des jeunes de moins de 18 ans ont vécu ce genre d’expérience depuis que le gouvernement de Doug Ford a choisi de retirer le financement du programme Discharge.

Réaction à Queen’s Park

Le journal Le Nord n’a pas réussi à obtenir d’explications du gouvernement à propos du retrait de ce programme. Le député de Mushkegowuk-Baie James, Guy Bourgouin, a été mis au parfum et n’a pas l’intention d’en rester là. Le député néodémocrate représente les communautés autochtones du Nord et souhaite obtenir des réponses de la part du gouvernement de Doug Ford. Le Nord n’a pas été en mesure de connaitre les démarches de M. Bourgouin étant donné que celui-ci est en vacances à l’extérieur du pays.