L’exode des jeunes : voir le phénomène d’une autre manière
Depuis le début du 21e siècle, la population des 15 à 24 ans a baissé dans le Nord-Est de l’Ontario. Ce ne sont pas tous les cas de migration qui peuvent être associés à un soi-disant « exode des jeunes ». Certains partent pour les études ou un emploi et reviennent plus tard dans leur vie. Toutefois, d’autres s’établissent en milieu urbain et décident d’y rester. La question se pose : qu’est-ce qui garde ces gens loin de chez eux ?
La fondatrice du Théâtre Mauve Sapin, Kariane Lachance, explore le sujet de l’exode des jeunes depuis près de trois ans à travers son projet théâtral intitulé Fumée lourde. En 2019, elle et trois artistes ont entamé des recherches sur les maisons fantômes, les lieux abandonnés et les villages de bucherons de Hearst et des environs, en partenariat avec le Centre d’archives de la Grande Zone argileuse.
En explorant l’éventail de la photographie du centre d’archives, une image en particulier lui a tapé dans l’œil. Durant notre entretien, elle tenait en main une photo d’époque d’un groupe d’écoliers. Parmi eux, on voit une petite fille regardant ailleurs, comme si elle voulait s’évader.
En observant l’image, les artistes ont décidé d’écrire une pièce portant sur la migration des jeunes ruraux, un sujet qui les touchait tous d’une manière ou d’une autre. De son côté, Kariane Lachance vit entre plusieurs villes et quitte souvent son bercail temporairement pour son art. Elle se promène régulièrement en province, notamment entre Sudbury, Timmins et Hearst, sa ville natale.
À son propre rythme
Bien qu’elle soit très impliquée au Conseil des Arts de Hearst (CAH), là où elle travaille et passe beaucoup de temps, elle dit vivre encore l’exode dont elle traite dans ses projets. Sa compagnie est incorporée à Hearst et a comme mission de donner visibilité aux minorités, tant visibles qu’invisibles.
En tant que personne queer, polyamoureuse et francophone, elle reconnait la réalité des personnes marginalisées du Nord de l’Ontario et se doit de parler d’elles dans ses pièces.
« On sait que la voix des personnes queer ici à Hearst n’est pas très forte, dit-elle. Je ne pense pas qu’il y a beaucoup d’affirmations, parce qu’elles ont un peu peur du jugement, mais aussi parce que je pense qu’on n’est pas encore prêts ici à donner cette ouverture-là. »
Lorsqu’elle est revenue à Hearst après ses études en grande ville, Mme Lachance avait tout un bagage de connaissances qu’elle a acquises par le biais de ses rencontres avec des gens issus de différentes cultures.
Ç’a été tout un choc à son retour en constatant très rapidement que ses expériences ont changé sa manière de voir le monde.
« Quand je suis revenue à Hearst, j’ai vu qu’il n’y a pas beaucoup de choses qui ont changé, confesse l’artiste. Il y a beaucoup de choses qui sont restées pareilles comme quand je suis partie et ça m’a fait un gros choc, parce que moi je pensais que le reste de la ville avait évolué ou s’était ouverte au même rythme que moi je m’étais ouvert aux autres. »
Une bulle de confort
Kariane Lachance est d’avis que le manque d’ouverture d’esprit de certains contribue à l’exode des jeunes et que les personnes qui ne se sentent pas incluses dans la communauté peuvent trouver plus alléchant d’aller voir ailleurs. Selon elle, la fermeture à la diversité culturelle, sexuelle et linguistique empêche les gens de trouver leur place dans leur coin de pays.
Au CAH, elle a trouvé sa place. Par contre, lorsqu’elle sort de sa bulle et explore les autres milieux de la ville, elle ne sait pas où est sa place, avoue-t-elle. Elle croit que ce sentiment qu’elle éprouve explique, en partie, le phénomène de l’exode des jeunes.
Par l’entremise de son art, Kariane Lachance souhaite ouvrir les horizons et entreprendre des dialogues abordant des sujets qui explorent la diversité, l’identité et la migration.