Doug Ford ne veut plus qu’on lui parle de ses amis

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER – Initiative de journalisme local — Le Droit

ANALYSE / Toronto — C’était le retour des députés à Queen’s Park cette semaine, la première rentrée parlementaire de l’année. Et déjà, on sentait Doug Ford s’impatienter face à la pluie incessante de questions qui lui sont posées à propos de ses liens d’amitié avec des promoteurs immobiliers.

Ce sont des affaires familiales, de ressort privé.

Voilà ce que répètent Doug Ford et ses alliés lorsqu’on leur demande d’expliquer que des promoteurs immobiliers et des lobbyistes aient été invités au « stag and doe » de la fille du premier ministre ontarien à 150$ le couvert, en août dernier, et à son mariage, à l’automne.

Un « stag and doe », événement populaire au Canada anglais, est une collecte de fonds pour un mariage à venir. On y organise parfois des jeux qui nécessitent que les participants gardent portefeuille et carnet de chèque à portée de main.

Doug Ford se défend qu’il a lui-même consulté le commissaire à l’intégrité de l’Ontario pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’apparence de conflit d’intérêt, et que le commissaire David Wake a conclu qu’il n’avait pas enfreint la Loi sur L’intégrité des députés.

Il a assuré qu’il n’était pas au courant de cadeaux ou de prix offerts durant l’événement matrimonial.

Deux faits pertinents semblent importants à mentionner, ici.

Primo, le commissaire à l’intégrité a basé sa décision exclusivement sur les informations fournies par le bureau du premier ministre.

Secundo, Ford n’a jugé nécessaire de solliciter l’avis du commissaire à l’intégrité que lorsque des journalistes ont commencé à poser des questions.

Le cofondateur du groupe citoyen Democracy Watch Duff Conacher a écrit au commissaire Wake, jeudi, pour lui demander d’ouvrir une enquête officielle sur les festivités de mariage de la fille de M. Ford.

Duff Conacher accuse le commissaire à l’intégrité de « négligence », dans sa lettre, disant qu’il n’aurait jamais dû se prononcer sur cette histoire sans ouvrir une enquête.

L’article 6 de la Loi sur l’intégrité des députés, note-t-il, stipule que « le député ne doit pas accepter d’honoraires, de dons, ni d’avantages personnels qui sont liés, directement ou indirectement, à l’exercice des devoirs de sa charge ».

Citoyenne privée

Le premier ministre Ford martèle avec vivacité que sa fille est une citoyenne privée, et l’insistance des médias dans cette histoire le met tellement hors de lui qu’il est allé jusqu’à accuser un journaliste de manquer d’intégrité journalistique.

Or, personne ne lui a posé de questions à propos de sa fille (ou des trois autres). Aucun des journalistes qui ont révélé l’histoire au grand jour ne l’ont même nommée.

Il y a deux noms qui sont ressortis, toutefois, soit ceux de Mario Cortellucci et de Shakir Rehmatullah, dont les entreprises auraient bénéficié de décisions récentes du gouvernement Ford en matière de développement immobilier.

Ainsi, lorsque des journalistes apprennent que des promoteurs et des lobbyistes, amis du plus haut dirigeant de la province, sont invités à participer à une collecte de fonds pour aider au financement du mariage de sa progéniture, des questions seront certainement posées.

Et ça va aussi de soi pour les partis d’opposition.

Baptême

C’est d’ailleurs sous ce thème que Marit Stiles a vécu son baptême à la direction du NPD ontarien.

Elle a entamé sa semaine en demandant au premier ministre de s’expliquer, et l’a terminée en demandant au commissaire à l’intégrité d’enquêter.

« Je crains que les invités se soient sentis obligés de contribuer à la collecte de fonds familiale du premier ministre, d’autant plus que certains invités avaient l’impression qu’on ne leur demandait pas une contribution en tant « qu’amis » du premier ministre, mais en tant que partenaires du gouvernement », a soutenu Marit Stiles, dans sa plainte.

En période de question, elle avait prévu de s’acharner sur le premier ministre Ford, mais c’est plutôt à la fougue du leader parlementaire Paul Calandra qu’elle a été confrontée, puisqu’il a répondu à la majorité des questions adressées à son patron dans ce dossier.

« L’Opposition officielle fait des attaques de salissage », a juré M. Calandra.

(Parlant de Marit Stiles et de Paul Calandra, permettez un entracte: les deux députés ont offert un rare spectacle aux Ontariens, jeudi, en débattant au sujet de la Santé, mais… en français ! C’est une rare occurrence, à Queen’s Park. Normalement, quand la langue française y est parlée, c’est soit parce que c’est un élu francophone qui parle, soit parce qu’on discute au sujet de la francophonie. Fin de l’entracte.)

Impatience

Jeudi, l’impatience du gouvernement était à son comble.

Probablement parce que ce n’est pas la première fois que les progressistes-conservateurs font parler d’eux en raison de leurs relations avec des promoteurs immobiliers.

À l’automne dernier, le gouvernement a annoncé le retrait de plusieurs milliers d’acres de la ceinture de verdure, cette zone protégée située au cœur du Golden Horseshoe, au sud de l’Ontario.

La province dit avoir pris cette décision pour faire avancer son objectif de construire 1,5 million de foyers en dix ans.

Toutefois, plusieurs médias ont révélé que des entrepreneurs, dont certains sont des donateurs au Parti progressiste-conservateur, ont acheté des terres dans la ceinture de verdure avant même que les changements soient annoncés et que ceux-ci profiteront financièrement de ces modifications législatives récentes.

Dans l’espace de quelques heures, le 18 janvier, le bureau du commissaire à l’intégrité et celui de la vérificatrice générale de l’Ontario ont chacun annoncé qu’ils lançaient une enquête indépendante sur la question.

Ces deux enquêtes sont toujours en cours.