La révolution perpétuelle des femmes d’Iran

ÉMILIE GOUGEON-PELLETIER

Initiative de journalisme local — Le Droit

C’est peut-être la première Journée internationale des femmes depuis la mort de Mahsa Amini et le soulèvement révolutionnaire qui secoue le pays, mais les Iraniens se battent depuis 44 ans pour la liberté et la vie des femmes.

Avant que l’ayatollah Khomeini prenne le pouvoir en Iran en 1979, Shabnam Assadollahi vivait sa jeune vie « comme une enfant normale ».

Mais du jour au lendemain, se souvient-elle, il lui est devenu interdit d’aller à l’école avec les garçons, le curriculum scolaire a été remplacé par les études arabes et islamiques, et toutes les femmes se sont vues forcées de se couvrir et de porter des couleurs foncées.

C’était le début d’une ère où les souvenirs d’enfance d’une génération seraient « remplacés par un régime où les femmes étaient désormais traitées comme des citoyennes de seconde classe », déplore Shabnam Assadollahi, qui réside à Ottawa depuis maintenant 32 ans.

« Si vous aviez un peu de rouge à lèvres, même si vous étiez couverte, ils [la police des mœurs] mettaient des lames de rasoirs à l’intérieur de boules de coton et vous coupaient les lèvres. Si on voyait votre toupet dépasser de votre voile, on vous perçait la peau du front avec une épingle pour vous montrer à quelle hauteur le voile doit être porté. »

Prison d’Evin

Les incarcérations à la prison d’Evin, complexe pénitencier situé à Téhéran, continuent d’augmenter depuis le début des manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022.

Cette jeune Kurde iranienne âgée de 22 ans a été emmenée dans un « centre de rééducation » où elle aurait été torturée et battue à mort par la police des mœurs, qui lui reprochait de ne pas avoir porté son voile « correctement ».

À 15 et 16 ans, Shabnam Assadollahi a passé 18 mois de son adolescence derrière les barreaux de la prison d’Evin. Son crime : « j’ai exprimé mon opinion sur les changements qui se produisaient dans mon pays ».

Les pratiques de cette prison, connue pour ses techniques d’interrogatoires brutales, sont depuis longtemps critiquées par des groupes de défense des droits humains. Selon Amnistie Internationale, la torture, les exécutions, les pendaisons et les brutalités sont devenues monnaie courante dans cet établissement à partir des années 1980.

En 2018, Evin a été inscrite sur la liste noire du gouvernement américain pour « graves atteintes aux droits humains ».

La dissidente iranienne se souvient d’avoir été battue durant un interrogatoire avec un bâton de fer. Elle en garde d’ailleurs une cicatrice au visage.

« Je suis très, très chanceuse qu’on ne m’ait pas violée ou exécutée. »

Elle raconte qu’à la fin de chaque journée, elle faisait le décompte du nombre de personnes qui avaient été exécutées autour d’elle, parce qu’elle pouvait entendre chaque fois qu’une arme à feu était déclenchée.

Shabnam Assadollahi milite depuis plusieurs années pour les droits des Iraniennes. Son activisme a contribué à la fermeture de l’ambassade iranienne au Canada, en 2012.

En 2009, Reyhaneh Jabbari, une jeune étudiante universitaire en Iran, a été trouvée coupable du meurtre de son présumé violeur, et condamnée à mort par pendaison.

Shabnam Assadollahi a participé au mouvement exigeant la libération de la jeune femme. Sa pétition a amassé plus de 200 000 signatures. Malgré les nombreux efforts de mobilisation, Reyhaneh Jabbari a été exécutée le 25 octobre 2014.

Aliénation

Quand on est une femme qui habite en Iran et qu’on est témoin d’un crime ou d’une injustice, le récit que l’on donne aux autorités vaut moins de la moitié que celui d’un homme.

En Iran, un homme qui souhaite le divorce n’a qu’à le déclarer devant un juge sans avoir besoin du consentement ou de la présence de sa femme. Si une femme veut le divorce, le consentement du mari est nécessaire.

Lorsque le couple a des enfants, c’est souvent l’homme qui obtient leur garde à la suite d’un divorce.

C’est ce qui est arrivé à Sima Tajdini.

Elle dit avoir « vécu un enfer » pour convaincre son mari de divorcer.

Il y a 17 ans, Sima Tajdini a dû s’enfuir d’Iran. Elle s’est réfugiée au Canada. Habitant aujourd’hui Toronto, elle estime que pendant de nombreuses années, son ex-mari a inculqué à ses deux jeunes garçons que leur mère les avait abandonnés de plein gré.

« Imaginez l’impact que ça peut avoir sur un petit garçon qui entend pendant plusieurs années que sa mère l’a abandonné. L’aliénation des enfants est un phénomène très commun en Iran. Les hommes utilisent et abusent des lois quand ça leur plaît, et les jeunes garçons apprennent ces valeurs. »

Son plus jeune l’a éventuellement retrouvée sur Facebook, et elle a eu l’occasion de lui raconter sa version de l’histoire. « Il a réalisé combien je les aime et combien ils me manquent, tous les deux. »

Mais il y a maintenant six ans, il s’est enlevé la vie. Sima Tajdini affirme que son ex-mari n’a même pas pris la peine de l’informer à temps pour les funérailles.

« Je n’ai plus peur de mourir, admet l’activiste. Au contraire, j’ai même hâte de traverser et d’aller rejoindre mon fils. Mais en même temps, je ne veux pas que l’on me tue, parce qu’il me reste encore tellement à faire pour les femmes. »

Son message pour les Iraniens qui manifestent pour la liberté des femmes : « Je veux m’adresser principalement à la jeune génération. Je veux leur dire à quel point je suis fière d’eux. Quand je vois leur bravoure d’aller à l’encontre d’un régime aussi brutal, je les admire. Et j’espère qu’ils savent qu’ils ne sont pas seuls. Nous devons les soutenir, pour qu’ils puissent vivre dans une société libre avec l’égalité des droits. »

Visiter son père

Magdalena Ana Steen rêve d’un Iran qui lui donnerait le droit de visiter la tombe de son père, décédé il y a neuf ans.

Lorsqu’elle a été invitée à commenter la situation politique de son pays à la BBC, son père l’avait appelée pour lui dire qu’on avait montré son visage à la télévision iranienne pour l’accuser de trahison.

Depuis, elle n’a pas pu y retourner.

Magdalena Ana Steen n’est peut-être pas debout dans les rues de Téhéran à manifester auprès de ses sœurs iraniennes, mais elle mène son propre combat pour les appuyer comme elle le peut.

Au sein de l’Alliance Canadiens d’origine iranienne, elle travaille comme recherchiste afin de tenter d’identifier les individus et les compagnies basés au Canada qui entretiennent des relations avec le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI).

« Je veux que les Iraniennes sachent qu’elles ne sont pas seules. Je veux qu’elles soient fortes et qu’elles continuent de se battre pour la justice, la paix et la liberté. Je suis honorée d’avoir l’opportunité et le luxe de vivre dans un pays sécuritaire, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour les aider à obtenir ce qui leur revient de droit, la justice, la paix et la liberté. »

Dégradant

La députée provinciale de Carleton Goldie Ghamari se souvient de la fois où ses parents l’avaient amenée en Iran pour visiter son pays natal.

« J’ai été obligée de porter un voile, et je n’avais pas aimé du tout. C’était dégradant, la façon dont on nous traitait. Tu ne te sens pas comme un être humain. Tu marches dans la rue et les gens font des commentaires, te disent de cacher tes cheveux. Je me souviens que je voulais aller faire de la bicyclette, et je n’avais pas eu le droit. »

Or, elle réitère que le port du hijab n’est qu’une infime partie du long combat des Iraniens. « Ça va tellement plus loin que le hijab. On parle du droit des femmes de vivre leur vie librement. »

Photo : Le Droit