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La vente d’alcool dans les dépanneurs est officiellement permise depuis jeudi matin. Pourquoi les Ontariens sont-ils si préoccupés par cette nouvelle politique ? 

Le premier ministre Doug Ford a fait lever plus que quelques sourcils lorsqu’il a annoncé qu’il prévoyait devancer d’un an la vente d’alcool dans les dépanneurs. 

En Ontario, les dépanneurs n’avaient jusqu’ici pas le droit de vendre d’alcool, contrairement à leurs voisins du Québec, notamment. 

Les produits alcoolisés étaient principalement disponibles à la LCBO (Régie des alcools), chez la chaine privée Beer Store, et dans certaines épiceries détentrices d’un permis. 

La province a dû verser une indemnité d’au moins 225 millions de dollars en fonds publics pour pouvoir devancer son projet de vente d’alcool dans les dépanneurs. 

Si plus de la moitié des Ontariens appuie la libéralisation de la vente d’alcool en province, selon les sondages, plusieurs s’y sont véhément opposés, au cours des derniers mois. Pourtant, « ils devraient être satisfaits », selon le directeur général de l’Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec, Yves Servais. 

« Au Québec, ça va bien, les consommateurs sont contents. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter », souligne-t-il. 

Contrôler la vente aux mineurs 

Yves Servais note que le contrôle de la vente de produits aux mineurs est la chose la plus importante à surveiller. 

C’est d’ailleurs l’une des préoccupations de syndicats d’enseignants de l’Ontario, qui s’inquiètent de la proximité de certains dépanneurs avec les écoles.« N’importe quel dépanneur peut demander un permis pour vendre de l’alcool », avance la présidente de la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO), Karen Littlewood. 

Au podium, la présidente de la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO), Karent Littlewood. Photo : Émilie Gougeon-Pelletier/Archives Le Droit

« J’étais dans mon dépanneur local, hier, et les frigidaires étaient là, couverts de rideaux, prêts pour commencer la vente d’alcool, jeudi. Et je me disais qu’il y avait beaucoup d’écoles autour, et plusieurs enfants », constate-t-elle. 

Contrairement aux magasins de cannabis, qui doivent être situés à une distance minimale de 150 mètres des écoles, les magasins où la vente d’alcool est permise n’ont pas de telle limite à respecter. 

Des inspections intensifiées 

La Commission des alcools et des jeux de l’Ontario (CAJO), responsable d’encadrer la vente d’alcool en province, a récemment annoncé qu’elle intensifiait ses inspections pour s’assurer que les détaillants respectent les règles. 

À ce jour, la CAJO a approuvé environ 4800 permis de vente d’alcool de dépanneurs. Les épiceries nouvellement autorisées pourront commencer à vendre de la bière, du vin et des cocktails prêts à boire à compter du 31 octobre. 

Un enjeu de santé publique 

Par ailleurs, la libéralisation de la vente d’alcool en Ontario n’est pas une bonne nouvelle pour la santé publique, selon les experts. 

« Personne dit que c’est la fin du monde, mais ce qui est clair, c’est que l’alcool nuit considérablement à la santé des Canadiens », souligne le médecin et chercheur de l’Université d’Ottawa et de l’Hôpital d’Ottawa, Daniel Myran. 

Les effets néfastes de l’alcool représentent l’un des sujets les mieux documentés par les experts de santé publique, note-t-il. 

« Il existe beaucoup de preuves qui montrent que les gens vont boire plus. On sait déjà que l’alcool est néfaste pour la santé, et maintenant, la préoccupation, d’un point de vue de santé publique, est que nous devrions avoir des politiques qui essaient de réduire la quantité que nous buvons, et non pas la promouvoir », mentionne le Dr Daniel Myran. 

La ministre de la Santé, Sylvia Jones, a répété que les « Ontariens devraient pouvoir être traités comme des adultes », et qu’ils devraient avoir les mêmes options qu’ailleurs au pays. 

Trop vite, trop cher ? 

Une autre raison qui explique l’opposition de certains Ontariens face à ce plan de libéralisation des ventes d’alcool est la précipitation avec laquelle le gouvernement Ford a agi. 

Le contrat de dix ans, qui donnait la quasi-exclusivité des ventes de bières au Beer Store, devait venir à échéance en 2025. 

Le contrat qui donnait la quasi exclusivité des ventes de bières au Beer Store devait venir à échéance en 2025. Photo : Archives, Le Droit/Archives Le Droit

Les progressistes-conservateurs de Doug Ford ont maintenu qu’il en aura couté 225 millions de dollars pour mettre fin à cet accord, mais les critiques soutiennent que la facture serait, en réalité, beaucoup plus salée ― 1 milliard de dollars plus salée. 

La cheffe de l’opposition officielle, Marit Stiles, a martelé tout l’été qu’il y avait anguille sous roche. 

« Un milliard de dollars pour se retirer d’une entente qui devait expirer dans un an ? Il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire. Nous le savons, les Ontariens le savent. Nous n’arrêterons pas de nous battre pour en savoir plus », a-t-elle insisté. 

Selon Marit Stiles, cet argent aurait pu être dépensé en santé, notamment. Pour Karen Littlewood, ces fonds auraient pu être utiles dans le système d’éducation. 

« À mon avis, cette transition [de vente d’alcool dans les dépanneurs] est trop rapide, et je m’inquiète de tout l’argent dépensé pour cela », affirme-t-elle. 

Le premier ministre Doug Ford a déclaré, durant un point de presse mardi, qu’il est entièrement confiant envers les dépanneurs, y compris ceux situés près des écoles. 

Il estime qu’ils pourront vendre du vin et de la bière de façon responsable. 

« [Les dépanneurs] traitent de tout, du tabac aux billets de loterie, et maintenant de la bière et du vin, et ils vont être très responsables », a-t-il dit. 

Celui-ci se dit en faveur d’un « marché ouvert », et affirme que la mesure contribuera à la création d’emplois. 

Selon le chercheur, le Dr Daniel Myran, l’argument économique présenté par la province « n’est pas si clair ». 

« Lorsque l’on additionne les couts de la consommation d’alcool et les dommages sociaux et sanitaires qui en découlent, les contribuables constatent généralement un défi-cit. Plus on vend d’alcool, même si les recettes fiscales entrent et que les gens ont un emploi, plus les dommages sanitaires et sociaux en aval sont importants », conclut-il.